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    The Reference Frame: L' équation Bogdanov: Le secret de l'origine de l'Univers? (The Bogdanov Equation: the Secret of the Origin of the Universe?) Presses de la renaissanc...


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    Les origines de la culture 4) Le scandale du christianisme partie 2

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture" dont c'est ici l'article 4-2)

    wikipedia.org -René Girard

     
     

     

     

     


    Les livres de René Girard: 

     

     

     

    amazon.fr -anorexie et désir mimérique (2008)


    http://www.perspectives-girard.org/recette/index.php?p=oeuvre: rené girard-perspectives humaines et perspectives chrétiennes

     

    Mes articles sur "les origines de la culture": 

     

    Dans l'article 2 nous avons vu comment João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture": "cet essai tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant, "une seule et longue argumentationpour reprendre les mots de Charles Darwin.  Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin. 

    Après cette introduction, nous avons commencé la lecture du livre de René Girard par le chapitre "Une théorie sur laquelle travailler: le mécanisme mimétique". Je résume et donne dans ces articles ma lecture des questions posées à René Girard (qui sont dans l'article en caractères gras) et de ses réponses

    Dans les articles 3-1 et 3-2 ("Une théorie sur laquelle travailler"), nous avons analysé le mécanisme mimétique en tant que fondement de l'ordre social et de la culture. Nous avons conclu que le monde moderne peut se définir comme une série de crises mimétiques toujours plus intenses, mais qui ne sont plus susceptibles d'être résolues par le mécanisme du bouc émissaire. Nous avons vu pourquoi dans l'article précédent: "Le scandale du christianisme" partie 1.  Poursuivons maintenant cette analyse avec la Révélation et les religions orientales.

    Exergue: "Un essai en hébreu est même paru à son propos, montrant que la théorie est contenue dans l'Ancien Testament!Charles Darwin  autobiographie.

    1) La révélation et les religions orientales.

    orphisme.blogspot.fr -l'orphisme, religion pour les femmes?

    a) "Lucien Scubla a remis en question le caractère judéo-chrétien de la Révélation (la conscience de l'innocence de la victime dans le phénomène du bouc émissaire) en avançant que "la tradition orphique condamnait toutes les formes de sacrifice de sang et reprochait déjà aux hommes d'avoir fondé leurs cités sur le meurtre"."
    Pour René Girard, c'est vrai en partie seulement, la tradition orphique semble proche du christianisme par certains aspects, en particulier pour la notion de péché originel ("La doctrine orphique (wikipedia.org) est une doctrine de salut marquée par une souillure originelle ; l'âme est condamnée à un cycle de réincarnations dont seule l'initiation pourra la faire sortir, pour la conduire vers une survie bienheureuse où l'humain rejoint le divin"). Par ailleurs selon Girard, "dans la vision orphique, tous les hommes reçoivent en héritage une part de la violence titanesque, mélangée à des étincelles de bonté, de divinité, au sens de la tradition gnostique". 

    Scubla peut donc voir dans les mystères orphiques quelque chose de proche du christianisme. C'est vrai jusqu'à un certain point (l'orphisme s'est développé dans dans un monde déjà influencé par la bible). Mais la révélation de l'innocence de celui qui a été choisi comme bouc émissaire s'est répandue uniquement par le biais des Ecritures judéo-chrétiennes. La tradition orphique est incomplète et fragmentaire et... elle n'a pas changé le monde comme le christianisme l'a changé. Ce sont les évangiles qui sont la vraie force qui permet la démystification moderne de la violence unanime. 


    b) "On pourrait apporter d'autres arguments pour limiter le rôle du christianisme dans la révélation de la structure sacrificielle des religions anciennes, en rappelant que certaines religions, comme le Jaïnisme en Inde, se sont éloignées de tout ordre sacrificiel et ont tout à fait rejeté le sacrifice". 

    Une société ou un groupe religieux peuvent atteindre une conscience aiguë de la violence humaine. C'est le cas du Jaïnisme en inde où 8000 Tamil Jain, à cause de cette conscience justement, ont été ont été persécutés par le roi shaïvite Koon Pandiyan dans le village de Samanatham près de Madurai. Les Jaïnistes ont exercé une certaine influence, mais ce ne sont pas eux qui ont transformé le monde même s'ils ont prôné l'instauration de l'égalité sociale entre les hommes, la tolérance religieuse, affirmé l'indépendance des individus face à la domination des prêtres, l'émancipation religieuse des femmes et le développement de l'éducation des filles, l'inculcation du principe de la confiance en soi. Ghandi voyait une analogie entre leur philosophie et et le christianisme, mais il opta pour une action politique plus compatible avec le christianisme, qui entraîne une intervention dans les affaires du monde, non sous la forme de prosélytisme outrancier comme on le croit généralement, mais sous forme de conversion individuelle, personnelle en adoptant une position de non-violence, tout comme le christianisme qui propose le christ comme modèle à imiter. Pour René Girard, "c'est notre esprit chrétien qui nous permet de distinguer dans le Jaïnisme une religion voisine de nos présuppositions éthique". 

    Dans l'esprit de laïcité qui se généralise actuellement, ce qui est attirant dans les religions orientales, c'est l'absence d'un Dieu transcendant. Le récit fondateur du bouddhisme, strictement individuel, est un chemin personnel qui mène à une Révélation plus conforme à l'individualisme contemporain.

     

     

    C) "Bien que de nature non violente, le jaïnisme est retombé dans un système de castes patriarcales, héritage de l'hindouisme brahmanique si répandu en Inde, qui représente encore une forme d'exclusion symbolique réelle. C'est ce que nous appelons la "violence structurelle", une injustice complète. De plus, comme cela a été avancé lors d'un récent colloque COV&R, l'histoire des religions et des sociétés en Asie montre que, d'un point de vue purement descriptif, les cultures et les Etats hindouistes ou bouddhistes ne sont pas aussi étrangers à la violence qu'on se l'imagine parfois (comme d'ailleurs aux premiers temps du christianisme). "

    http://www.uibk.ac.at/theol/cover/ (colloque COV&R)

    Arthur M. Hocart soutient en effet que le système des castes est d'origine sacrificielle. Lors de ce colloque (voir les actes et le sommaire), il a été dit que les religions sont pleinement conscientes, dans leurs règles et leurs préceptes, de l'injustice inhérente à la violence et que les traditions orientales ont contribué à rendre ces sociétés moins violentes. Tout en sachant que l'homme devait écarter la colère, la rancune, le ressentiment et l'envie, elles n'ont jamais été pleinement conscientes du mécanisme de bouc émissaire. Elles tentèrent d'interdire progressivement le le sacrifice (le jaïnisme, comme on l'a vu l'a rejeté). La différence avec le christianisme, c'est que celui-ci fait, dans les évangiles, la lumière sur le mécanisme du bouc émissaire et du sacrifice mimétique.

     

    Liens: http://lucadeparis.free.fr/jpweb/surscubla.htm (L'anthropologie morphogénétique selon Lucien Scubla)
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Lucien_Scubla
    http://www.rene-girard.fr/offres/doc_inline_src/57/Lucien+Scubla.pdf (Lucien Scubla)
    http://1libertaire.free.fr/LScubla05.html (Lucien Scubla: 
    Quel est votre sentiment général sur l’œuvre de Girard et sa place dans l’histoire de l’anthropologie ?)
    fr.wikipedia.org -orphée http://fr.wikipedia.org/wiki/Orphisme_(religion)
    http://www.cosmovisions.com/$Orphisme.htm
    http://astro-cosmogonie.com/Pge_CosOrphiques.htm (
    LES COSMOGONIES ORPHIQUES)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Ja%C3%AFnisme (jaïnisme)
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Portail:Ja%C3%AFnisme (Portail:Jaïnisme)

    http://classiques.uqac.ca/classiques/hocart_arthur_maurice/au_commencement/au_commencement.html (Au commencement était le rite. De l'origines des sociétés humaines)

    http://classiques.uqac.ca/classiques/hocart_arthur_maurice/hocart_arthur_maurice.html (Arthur Maurice HOCART [1883-1939]) 

    http://www.slu.edu/department-of-theology-home/2015-colloquium-on-violence-and-religionhttps://www.facebook.com/COVandR (colloque violence et religion 2015)

     

    2) Le jugement de Salomon et l'espace non sacrificiel.


    a) "Le jugement de Salomon est l'un des textes antisacrificiels les plus puissants de l'Ancien Testament. Il est au coeur de votre réflexion (de René Girard) dans "Des choses cachées(Des choses cachées depuis la fondation du monde), où vous tentez de définir la possibilité d'un espace non sacrificiel". 

     

     

     

     

    mapage.noos.fr -le jugement de salomon

     

    Salomon est roi d'Israël vers 950 avant J.C., la tradition insiste sur sa sagesse.

    l'histoire du jugement :
    Deux femmes sont venues demander justice. Elles ont chacune un enfant du même âge, mais l'un est mort accidentellement étouffé pendant son sommeil. Chacune affirme que l'enfant vivant est le sien."Elles se disputaient ainsi devant le roi qui prononça :
    " Apportez-moi une épée", ordonna le roi ; et on apporta l'épée devant le roi, qui dit : "Partagez l'enfant vivant en deux et donnez la moitié à l'une et la moitié à l'autre." Alors la femme dont le fils était vivant s'adressa au roi, car sa pitié s'était enflammée pour son fils, et elle dit : "S'il te plaît, Monseigneur ! Qu'on lui donne l'enfant vivant, qu'on ne le tue pas !" mais celle-là disait : "Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez !" Alors le roi prit la parole et dit : "Donnez l'enfant vivant à la première, ne le tuez pas. C'est elle la mère." (le Livre des Rois chapitre 3) (le Livre des Rois chapitre 3)
    L'une des deux mères accepte, mais l'autre refuse et préfère renoncer à son enfant afin de le sauver. 

    "Des choses cachées" est construit autour de ce texte qui a joué un rôle essentiel dans la réflexion de René Girard sur le sacrifice. Cette action est prophétique du Christ qui, d'ailleurs était, au moyen-âge, perçue  non dans la bonne prostituée, mais dans Salomon. La mauvaise prostituée accepte le le meurtre, le sacrifice, alors que la bonne la refuse. La bonne mère, elle, renonce à l'enfant pour que celui-ci vive. Elle ne veut pas mourir, mais elle est prête à tout subir et même à renoncer à l'enfant pour qu'il vive. N'est-ce pas aussi le vrai sens du sacrifice du Christ? 

    Girard avait dit dans "Des choses cachées depuis la fondation du mondeIl y n'y a pas de différence plus grande que celle existant entre ces deux actions représentatives du sacrifice. C'est pourquoi il a refusé d'utiliser le même mot pour les décrire. Et, puisque le sens de sacrifice comme immolation ou meurtre est plus ancien, il a décidé que le mot sacrifice s'appliquerait à cette action, sacrifice-meurtre. Mais depuis, il a changé d'avis. La différence entre ces deux actions est la plus grande qui soit, et c'est la différence entre le sacrifice archaïque (qui détourne contre une victime choisie la violence accumulée par la société) et le sacrifice au sens chrétien (renoncer à toute revendication égoïste et à la vie s'il le faut, pour ne pas tuer). 


    Nota: sacrifice archaïqueil aurait pour but de canaliser la violence vers un individu (sacrifié) et vers le domaine du sacré, institutionalisant ainsi la violence qui est encadrée et pratiquée selon des rites et règles bien précises.


    b) Les deux actions sont ici superposées.
    Les évangiles font de la mauvaise prostituée et du mauvais sacrifice une métaphore pour la vieille humanité incapable d'échapper à la violence, sans sacrifier des victimes. Le Christ, par son sacrifice, nous libère de cette nécessité; Le sacrifice y prend le sens de sacrifice de soi-même, le sens du Christ. On peut alors dire, en quelque sorte, que que la religion primitive, archaïque, annonce le Christ à sa façon., mais très imparfaite. 

    Les deux formes de sacrifice du paragraphe précédent, (celle de la mauvaise prostituée et celle de la bonne) sont radicalement opposées mais en même temps inséparables. Il n'existe entre elles aucun espace non sacrificiel. On ne peut pas trouver de différence plus grande; d'un côté, le sacrifice comme meurtre, de l'autre, le sacrifice comme acceptation de la mort, s'il le faut, pour ne pas tuer. L'histoire morale de l'humanité est un passage du premier sens au second, accompli par le Christ , mais pas par l'humanité qui a tout fait pour ne pas voir le dilemme et pour y échapper.

    Je pense qu'il est urgent de méditer cette pensée de Girard en cette période ultra-matérialiste où ne compte que la performance et le profit. Les éclairs de conscience et les germes de réveil que nous voyons poindre de plus en plus sont à cultiver.


    C) "Ce changement de perspective dans votre théorie est encore plus évident quand on le compare au débat que vous avez eu avec les théologiens de la Libération, en 1990, au Brésil. A cette occasion, Franz Hinkelammert a discerné les concepts de "non sacrificiel" et "antisacrificiel", avant de demander: "est-ce vraiment comprendre la pensée de Girard que de la définir comme antisacrificielle? Je crois que non, parce que sa pensée est non sacrificielle [...]. La position antisacrificielle peut être extrêmement sacrificielle". 

    http://mythologica.fr/biblique/cain et abel


    "La théologie de la libération est un courant de pensée théologique chrétienne venu d’Amérique latine, suivi d’un mouvement socio-politique, visant à rendre dignité et espoir aux pauvres et aux exclus et les libérant d’intolérables conditions de vie. Enracinée dans l’expérience biblique du peuple juif guidé par Dieu au-delà de la mer Rouge et à travers le désert — d’une terre d’esclavage (Égypte) à la Terre promise (Exode, ch. 12 et suivants) elle est un « cri » prophétique pour plus de justice et pour un engagement en faveur d’un « Règne de Dieu » commençant déjà sur terre. La réflexion théologique part de la base : le peuple rassemblé lit la Bible et y trouve ressources et inspiration pour prendre en main son destin".

    "Attentif aux pauvres, critique à l’égard du néolibéralisme, le pape François ressemble à un « théologien de la libération ». En réalité, il s’est opposé à ce mouvement que l’Institution catholique accusa longtemps d’inspiration marxiste et qui a tant influencé l’Eglise en Amérique latine".
    Je pense que 
    Franz Hinkelammert a raison, dit René Girard qui a écrit un essai concernant sa position à ce sujet, "théorie mimétique et théologie" (dans "celui par qui le scandale arrive"ch I-3), d'abord paru en Allemand dans un ouvrage dédié à Raymund Schwager: "il faut repérer un phénomène de "bouc émissaire" spontané derrière la crucifiction, tout autant que derrière les mythes". Ce phénomène n'est pas là dans les mythes, alors qu'il est là dans les Evangiles et le plus surprenant, c'est que ce repérage vient du Christ lui-même plutôt que des évangélistes qui font tout ce qu'ils peuvent pour suivre le Christ.

    Selon René Girard, "l'histoire des religions est en fait une histoire du sacrifice commencée avec les relogions archaïques qui ont véritablement éduqué l'humanité et l'on sortie de la violence archaïque. Puis Dieu est devenu une victime afin de libérer l'homme d'un Dieu violent, illusion qui doit être abolie en faveur de la connaissance que le Christ reçoit de son Père. On peut considérer les religions archaïques comme le premier stade de la révélation progressive qui culmine dans le Christ. "  Ainsi, la véritable histoire de l'humanité serait une histoire religieuse qui remonte au cannibalisme primitif, qui serait la religion alors que l'Eucharistie récapitulerait cette histoire, de l'alpha à l'oméga. Et pour commencer, l'histoire de l'homme inclut ce début meurtrier: Caïn et Abel

    Je crois que cette vision me séduit et que je suis assez d'accord.

    Conclusion: un espace absolument non sacrificiel est impossible. René Girard a tenté de le trouvé dans "La violence et le sacré" et Des choses cachées", mais il pense maintenant que trouver cet espace à partir duquel tout pourrait se comprendre et s'expliquer sans engagement personnel est une tentative qui ne peut réussir. La difficulté aujourd'hui de construire le monde autour des valeurs égalitaires en est peut-être la traduction. L'avenir nous dira ce qu'il en est.

    http://authueil.org/?2006/04/25/62-celui-par-qui-le-scandale-arrive (Celui par qui le scandale arrive par authueil)

    http://www.parutions.com/pages/1-6-63-2200.html (celui par qui le scandale arrive)

     

    3) L'Histoire et la conscience sacrificielle.


    a) En adoptant une formulation plus théologique, la notion de "Dieu passager et mutable", soutenue par des penseurs comme scholemHans Jonas, ou Sergio Quinzio, se raccroche-t-elle à votre idée de la religion comme élargissement progressif de la conscience et du christianisme comme révélation et transformation du Logos violent en Logos divin?

    pour Scholem la conception d'un Dieu vivant n'est pas incompatible avec le principe de son immuabilité. Pour Jonas, Dieu est un Dieu qui devient, un Dieu qui vient à l'existence en temps voulu, bien qu'il soit un Etre complet, toujours identique à Lui-même dans le temps de l'éternité. La tradition hébraïque parle aussi de l'unification de Dieu avec sa Shekhinah.

    Girard ne voit pas Dieu comme une entité changeante, mais le comprend de façon ontologique: "je suis celui qui suis", comme Dieu l'a dit lui-même à Moïse selon l'Ecriture. Dieu, comme on l'a vu précédemment a "une stratégie" pédagogique à partir de la religion archaïque vers la Révélation chrétienne. C'est ainsi qu'une humanité libre peut se développer. Sartre a pu dire: "Dieu ne peut pas être, parce que, si Dieu a fait l'homme, ce dernier n'aurait pas pu le créer libre, et donc, l'homme étant libre, il n'y a pas de Dieu". Avec le système du bouc émissaire, nous voyons que cette logique est contournable et que la vision de Sartre n'est pas forcément juste. Même si l'impossibilité dont il parle est réelle, Dieu permet les sacrifices et les hommes peuvent s'éduquer eux-mêmes peu à peu, hors de leur violence, tout en ne réussissant jamais complètement. Ils ont besoin du Christ qui supplée à leurs insuffisances, ils changent donc, mais pas Dieu. La différence entre les religions archaïques et le christianisme, c'est que dans le cadre archaïque, on pense que la victime est coupable parce que tout le monde le dit et on ne comprend pas qu'elle est seulement un bouc émissaire. Dans les Evangiles, il y a aussi un moment d'unanimité (dans les cris: "à mort!, à mort) et même les disciples de Jésus se détournent de lui et rejoignent la foule. Mais la résurrection détruit cette unanimité et les disciples dénoncent la système du bouc émissaire et ainsi le révèlent.

    Le "Dieu passager et mutable", qu'évoquent scholemHans Jonas, ou Sergio Quinzio, c'est le sacré qui progressivement se transforme en saint dans l'histoire humaine. Dieu de la Bible, il est devenu Dieu de la sainteté étranger à toute violence, le Dieu des Evangiles. Il y a un refus chrétien d'abandonner la Bible hébraïque et l'Ancien Testament, refus de l'attitude marcioniste. Cela montre qu'il y a à la fois rupture et continuité entre le religieux archaïque, sacrificiel et la révélation biblique qui nous fait émerger hors du sacrifice mais qui ne nous autorise pas à le condamner car par nature, nous ne sommes pas étrangers à la violence. Nous vivons peut-être l'émergence d'une nouvelle Révélation. 

     

    Liens: http://jec2.chez.com/archobsrvshole.htm (Observations sur l'oeuvre de Gershom Scholem)

    http://theoremes.revues.org/150 (Gershom Scholem, d'une redécouverte de la kabbale et de ses enjeux)

    http://francesca1.unblog.fr/2011/07/07/shekinah/ (la gloire de la shekhinah)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Preuve_ontologique_de_G%C3%B6del (preuve ontologique de l'existence de Dieu selon gödel)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Argument_ontologique


    b) A propos de cette question, comment percevez-vous la tradition gnostique? Fait-elle aussi partie de l'histoire de la Révélation?

    http://art-du-vivant.com/blogcfio/esoterisme-chretien/

     

    Si je me réfère au site franc-maconnerie.org "Le terme de gnose désigne diverses tendances qui ont toujours existé dans les grandes religions monothéistes, et qui présentent des points communs aussi bien avec la pensée néoplatonicienne qu'avec les spiritualités orientales.

    Gnose signifie connaissance. Il s'agit de la connaissance intérieure, par laquelle l'homme appréhende le divin, indépendamment de tout dogme, de tout enseignement; la gnose s'apparente ainsi au mysticisme. Les gnostiques considèrent que Dieu ne peut être en contact avec le monde, essentiellement mauvais, œuvre du Démiurge. La matière est assimilée à l'ignorance, au mal, et la vie terrestre résulte d'une chute de l'esprit dans cette matière, perte de l'unité originelle avec Dieu. L'homme, prisonnier des dualités (bien/mal, âme/corps, connaissance/ignorance), ne garde plus de son origine divine que la vague nostalgie d'un paradis perdu. Mais le principe divin, l'âme, est en lui, et la recherche spirituelle peut le mener au salut en libérant l'âme de sa prison corporelle".

    Pour René Girard, "la gnose est très actuelle, car c'est toujours un effort pour échapper à la Croix, c'est à dire perpétuer la méconnaissance par l'homme de sa violence et protéger son orgueil de la Révélation. Sans la croix, il ne peut y avoir de Révélation de l'injustice fondamentale que constitue le mécanisme du bouc émissaire, fondateur de la culture humaine et qui se répercute dans tous les rapports que nous avons avec nos semblables". 

    La gnose méconnaît donc la révélation?

    liens: http://fr.wikipedia.org/wiki/Gnosticisme

    http://www.franc-maconnerie.org/la-gnose

    http://reforme.net/une/religion/lapocalypse-a-commence (pour girard, l'apocalypse a commencé)

     

    c) Roberto Calasso critique votre conviction que la Révélation chrétienne opère une sape progressive du sacrifice: "Dans cette application tordue des Lumières, cependant la principale faiblesse de Girard apparaît: la persécution n'a en fait jamais été aussi répandue que dans l'Occident moderne, qui ne connaît rien du sacrifice et le considère comme une superstition". 

    Girard trouve profonde et inspirée la description de Calasso de la société moderne. Mais elle est trop unilatérale. Calasso est très favorable au sacrifice, il ne fait pas de distinction entre la Révélation chrétienne et la mauvaise utilisation qu'on en fait aujourd'hui. Pour lui, être opposé au sacrifice sanglant constitue une faiblesse des individus ou des collectivités et, avec Nietzsche, il veut croire qu'être pour la violence est plus intelligent et que c'est ce qu'il faut faire. Calasso a intégré l'utilité positive du sacrifice dans les sociétés archaïques et il voit que le monde moderne est menacé par la perte des protections sacrificielles, ce qui est somme toute très lucide et qu'assez peu de gens peuvent voir.

    C'est pourtant ce que dit René Girard qui définit le monde moderne comme essentiellement privé de protection sacrificielle, c'est à dire toujours plus exposé à une violence aggravée qui est, le sienne (celle de Calasso), comme la mienne, notre violence à nous tous. Mais le mouvement de la rationalité moderne n'est pas intrinsèquement mauvais. Le progrès scientifique est un progrès réel qui fait donc voir Girard comme un "homme des lumières" à Calasso.  ("L'histoire progresse à la fois dans le sens du bien et dans le sens du mal", dit Jacques Maritain). Calasso ne voit pas la signification profonde de la Révélation chrétienne telle que l'a découvert René Girard.


    d) La lecture de Nietzsche s'est révélée fondamentale pour de nombreux philosophes contemporains. Vous-même avez reconnu qu'il avait contribué à votre interprétation de Dionysos. Selon vous, l'aphorisme 125 du Gai savoir, très souvent cité, dans lequel Nietzsche affirme que "Dieu est mort", va au coeur de la logique sacrificielle.

     

    http://www.lemenestrel.com/TEXTES/dionysos-dieu-grec.html

     

    Au lieu de dire "Dieu est mort", Nietzsche dit en fait: "Nous l'avons tué. Voici la traduction de Pierre Klossowski dans Oeuvres philosophiques complètes: "Dieu est mort! Dieu reste mort! Et c'est nous qui l'avons tué. Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers? Ce que le monde avait possédé jusqu'alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux - qui essuiera ce sang de nos mains? Quelle eau lustrale pourra jamais nous purifier? Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? La grandeur de cette action n'est-elle pas trop grande pour nous? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraître dignes de cette action? Il n'y eut jamais d'action plus grande; et quiconque naîtra après nous appartiendra, en vertu de cette action même, à une histoire supérieure à tout ce que fut jamais histoire jusqu'alors". 

    Nietzsche ne nous parle-t-il pas ici d'une re-fondation religieuse de la société en inventant un rituel d'expiation, autrement dit d'une nouvelle religion? Tous les dieux commencent d'abord par mourir, éternel retour (du religieux sacrificiel), création et recréation de la culture qui implique toujours la présence initiale d'un meurtre fondateur. Pour rené Girard, ce texte va au-delà de la pensée explicite de Nietzsche en définissant l'éternel retour comme une succession sans fin de cycles sacrificiels, repérables dans les aphorismes d'Héraclite et Anaximandre.  Il n'était sans doute pas pleinement conscient de ce qu'il disait dans cet aphorisme et c'est l'exemple de texte qui échappe à son auteur. En fait, nietzsche utilisait sans s'en rendre compte des mots à connotation rituelle, sacrificielle.

    Ainsi, ce texte parle de la naissance de la religion en même temps que de sa mort et c'est ce que le meurtre de Dieu contraint le meurtrier à inventer: un nouveau culte religieux. 


    Les derniers mots que Nietzsche a  écrits en 1989, aux limites de la folie, "Condammo te ad vitam diaboli vitae" ('je te condamne à la vie éternelle en enfer") constituent un passage impressionnant qu'il est difficile d'interpréter en dehors en dehors d'un cadre chrétien. Nietzsche s'est-il condamné à l'enfer en voulant être Dionysos contre le Christ? (voir aussi SOLLERS ET LA RELIGION Dionysos et le Ressuscité). Héraclite l'a déjà dit: Dionysos, c'est la même chose qu'HadèsNietzsche était jaloux du Christ selon André Gide, il était donc du côté de Satan, ce qui signifie d'après Girard, prendre parti de la foule contre la victime innocente.

     

    liens: http://fr.wikipedia.org/wiki/Dionysos

    http://www.lemenestrel.com/TEXTES/dionysos-dieu-grec.html (Qui est Dionysos, le dieu Grec ?)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Dieu_est_mort_(Friedrich_Nietzsche)

    http://leportique.revues.org/126 (Mort de Dieu et volonté de puissance)

    http://www.perspectives-girard.org/references/references/reference-0002.pdf (Comment "Dieu est mort !", selon Nietzsche: c'est le texte capital, paraît-il, sur la disparition définitive de toute religion")
    http://fra.anarchopedia.org/dieu_est_mort (Dieu est mort)
    https://lesarchivesdeladouleur.wordpress.com/2012/05/20/god-is-dead/ (dieu est mort)

    http://www.lemondedesreligions.fr/mensuel/2010/40/friedrich-wilhelm-nietzsche-04-05-2010-122_106.php (Prophète de la mort du Dieu chrétien, le philologue allemand développa une pensée paradoxale, à la fois athée et spirituelle, qui prêche une mystique de l’« éternel retour » et annonce l’avènement d’un Dieu positif, « qui danse et qui rit ».

    http://www.webnietzsche.fr/dieumort.htm (Dieu est mort, pourquoi ?)

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antiq_0770-2817_1981_num_50_1_2036 (Girard, Euripide et Dionysos)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Klossowski (cité par rené girard pour la traduction de nietzsche, le gai savoir)

    http://www.webnietzsche.fr/retour.htm (l'éternel retour)

    http://www.eris-perrin.net/2014/08/nietzsche-et-l-eternel-retour.html (Nietzsche et l'éternel retour)

    http://www.in-limine.eu/2014/04/nietzsche-et-jesus-par-georges-bataille.html (Nietzsche et Jésus (par Georges Bataille))

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antiq_0770-2817_1981_num_50_1_2036 (Quand René Girard nous offre ses salades. Remarques sur la théorie girardienne du sacrifice)

    http://www.willeime.com/Nietzsche.htm (Nietzsche et l'inversion des valeurs par le chrisitanisme)

    http://files.alaindebenoist.com/alaindebenoist/pdf/rene_girard.pdf (RENE GIRARD, AUTEUR SURFAIT par alain de benoist

     

    4) Celui par qui le scandale arrive.

     

    a) Dans votre théorie, il semble que les êtres humains ne soient ni autonomes (car leur désir est toujours mimétique, ni pacifiques (car ils ne peuvent éviter l'apparition de formes de violence engendrées par la nature mimétique de leur désir). Ne pensez-vous pas que cette conception de l'humanité a eu une influence négative sur l'accueil fait à votre travail?

    La réponse de René Girard, c'est que, même si le désir est toujours mimétique, on peut y résister et c'est l'intérêt d'être chrétien - Jésus lui-même a résisté. La liberté de l'homme c'est la possibilité de résister au mécanisme mimétique. 

    La seule liberté consisterait donc à imiter Jésus et ne pas rejoindre le cercle mimétique ainsi que Paul le dit aux corinthiens: "Je vous en prie, montrez-vous mes imitateurs" (1 CO 4,16). Ce n'est pas par orgueil individuel, mais parce que lui-même imite Jésus, qui, à son tour, imite le Père. Par opposition au désir mimétique, qui aliène les hommes et les entraîne vers la crise mimétique, c'est une chaîne infinie de "bonne imitation", d'imitation sans rivalité, que le christianisme cherche à constituer et dont les "saints" sont les maillons. 

     

    b) Nous n'avons le choix qu'entre accuser les autres et éprouver de la compassion pour eux?

    http://dilectio.fr/?tag=crise-mimetique

    Pourquoi l'imitation du Christ impliquerait-elle une mise en accusation de ceux qui ne la pratiquent pas demande René Girard? L'imitation du christ n'implique pas ce choix. Ce que le Christ ne fait jamais, c'est la mise en accusation au dépens d'un bouc émissaire pour "tirer son épingle du jeu". Relisons l'évangile de Jean: "Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage? C'est que vous ne pouvez pas entendre ma parole. Vous êtes du diable, votre père,et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement et n'était pas établi dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui: quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge. Qui d'entre vous me convaincra de péché? Si je dis le vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas? Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu; si vous n'entendez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu" (Jn 8,83-47). En fait il y a bien deux modèles suprêmes, Satan et le Christ. Le paradoxe, c'est que la vraie liberté est la conversion de l'un à l'autre; autrement, c'est l'illusion totale. Nous sommes libres parce que nous pouvons toujours nous convertir vraiment, c'est à dire refuser de nous joindre à l'unanimité mimétique. Se convertir, c'est en fait se reconnaître persécuteur, se voir soi-même pris dans le processus d'imitation depuis le commencement. Cela signifie choisir le Christ (ou un homme qui ressemble au Christ) comme modèle de nos désirs. Se convertir, c'est découvrir que nous avons imité, sans le savoir, le mauvais type de modèles qui nous entraînent dans le cercle vicieux des scandales et de l'inassouvissement permanent qui aboutissent à la crise mimétique

    liens: http://dilectio.fr/?tag=crise-mimetique (la crise mimétique)

     https://aigueau.wordpress.com/2010/01/18/la-theorie-de-rene-girard-resume (La théorie de René Girard – résumé)

    http://ermrc.pagesperso-orange.fr/Caf%E9th%E9otextes/031Mim%E9tique.htm (René Girard et la théorie du désir mimétique)


    c) Si le mot skandalon signifie "rivalité mimétique", pourquoi les Evangiles l'associent-ils avec Satan et avec le Christ, qui se qualifie lui-même de skandalon (Jn 6,41-42).


    Le mot skandalon signifie "pierre d'achoppement mimétique", quelque chose qui déclenche la rivalité mimétique. Le Christ a annoncé (avant sa passion) qu'il allait devenir un skandalon pour tous les hommes et même pour les disciples. 

    René Girard a écrit dans "Je vois Satan tomber comme l'éclair", que Satan et le skandalon sont une seule et même chose (chapitre III, satan, p. 61). 

    Jésus associe les deux termes quand il annonce la Passion et dit à Pierre: "passe derrière moi Satan! Tu me fais obstacle (skandalon), car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes!Mt 16,23).  Le mot skandalon s'applique aussi à la croix lorsque Jésus dit: "Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi"! (Mt11,6). Paul, lui, déclare dans une belle formule: "Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens" (1 Co 1,23).

    La Croix est un skandalon parce que les hommes ne comprendront pas un Dieu faible (cf Nietzsche), subissant humblement ceux qui le persécutent; c'est pourquoi ils trébuchent sur cette idée. Par ailleurs, Jésus et Satan poussent tous deux à l'imitation qui éduque la liberté, parce que nous sommes libres d'imiter le Christ dans un esprit d'humble soumission à son incomparable sagesse, ou au contraire, d'imiter Satan dans un esprit de rivalité. Et le scandalon signifie alors l'incapacité à échapper à l'esprit rivalitaire, un esprit de servitude car il nous agenouille devant tous ceux qui l'emportent sur nous. La prolifération des rivalités est cependant arrêtée par la résolution du bouc émissaire, qui produit à nouveau l'ordre dans la société. Satan expulse alors Satan ce qui stabilise la société mais l'ordre ne peut être que temporaire car l'ordre ne peut être que temporaire et promis à retomber tôt ou tard dans le désordre des scandales. Il s'agit d'une fausse transcendance. 

    La résolution ultime du bouc émissaire n'est-elle pas le Christ skandalon...?

     

    liens: http://girardianlectionary.net/res/skandalon.htm (René Girard and the New Testament Use of skandalon)

    http://www.perspectives-girard.org/discussion-archives/pc2005-01.01-12.31.pdf (Depuis Je vois Satan tomber comme l'éclair, Girard considère le skandalon et Satan comme une seule et une même chose ( Cf aussi p.138-139 dans Les origines de la culture ). Je vous rapporte le passage emprunté à ce livre : ""- Si le mot skandalon signifie "rivalité mimétique", pourquoi les Evangiles l'associent-ils avec Satan et avec le Christ, qui se qualifie lui-même de skandalon ( Jn 6, 41-42 ) ? - Le Christ annonce avant sa Passion qu'il va devenir un skandalon pour tous les hommes et même pour ses disciples, qui VONT PARTICPER PASSIVEMENT A SON EXPLUSION..."" )

    http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20081029.html (La théologie de la Croix dans la christologie de saint Paul par Benoît XVI, audience générale 29 oct 2008)

    http://www.scriptoblog.com/index.php?option=com_content&view=article&id=190:je-vois-satan-tomber-comme-leclair-rene-girard-&catid=52:philosophie&Itemid=55 (je vois Satan tomber comme l'éclair (René Girard))

    http://enpassant-englanant.blogspot.fr/2011/04/en-lisant-rene-girard-satan-sest-fait.html (En lisant... René Girard, Satan s'est fait duper par la Croix)

     

    d) Est-ce en rapprochant Satan du skandalon que le Christ révèle la fausseté des accusations sue lesquelles est fondé l'ordre sacrificiel? Démasque-t-il ainsi la vraie nature de Satan? 

     

    nomana.free.fr:Andromède attachée au rocher par les Néréides

    Oui répond René Girard "Pour le christianisme, on ne devrait pas croire en Satan. Le Credo n'en fait pas mention". Satan est un non-être car, il est finalement l'inconscient du mécanisme du bouc émissaire quand la foule accuse la victime innocente d'être coupable et qu'elle l'assassine ensuite sans remord en pensant qu'elle est coupable. Le système fonctionne par lui-même, comme une machine, une espèce d'immense mannequin (comme Dante représente Satan dans la fosse de l'enfer).

    Le phénomène de rivalité, la rivalité des doubles est perçu depuis toujours comme une sorte de force transcendantale. René Girard signale que dans leurs récits épiques, les indiens l'appellent destin, pour les grecs anciens c'est le moîraHeidegger, lui, parle de schicksal. Satan est ce système mimétique qui n'a pas d'être substantiel mais qui gouverne les relations humaines. Cette notion de destin, qui a tant marqué l'humanité n'est plus présente dans la Bible. Dès le début, Caïn est libre de choisir et Dieu tente de le convaincre de ne pas tuer son frère (LA PAROLE DE DIEU NE DÉTOURNA POINT CAÏN DE TUER SON FRÈRE). Ainsi que l'affirme René Girard, "Nous serons toujours mimétiques, mais nous n'avons pas à l'être de façon satanique, ni à nous engager dans des relations mimétiques perpétuelles. Nous n'avons pas à accuser notre voisin, nous pouvons apprendre à lui pardonner". 


    Souvenons-nous de Marc 12,29-33

    "Jésus lui répondit (au scribe): Le premier de tous les commandements c'est: Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. 
    30 Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force. C'est là le premier commandement. 
    31 Et voici le second qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a point d'autre commandement plus grand que ceux-ci. 
    32 Et le scribe lui répondit: C'est bien, Maître, tu as dit avec vérité, qu'il n'y a qu'un Dieu, et qu'il n'y en a point d'autre que lui; 
    33 Et que l'aimer de tout son cœur, de toute sa pensée, de toute son âme, et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c'est plus que tous les holocaustes et les sacrifices".

    C'est ainsi que je conclue mes articles sur "ma lecture" des chapitres relatifs au mécanisme mimétique et au scandale du christianisme du livre de René Girard "LES ORIGINES DE LA CULTURE". Mon prochain article traitera du chapitre L'homme, un "animal symbolique".


    liens: http://profondeurdechamps.com/2013/09/05/satan-un-bouc-emissaire/ (Satan : un « bouc émissaire » ?)

    http://lirephilosopher.canalblog.com/archives/2014/06/17/30090619.html ("Je vois Satan tomber comme l'éclair" René GIRARD)

    http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=ETU_966_0773 (girard revisité)

    http://nomana.free.fr/public/bouc-emissaire.html (quelques boucs émisssaires)

    http://scribe.seiya.free.fr/dossier/enfers.htm (LES ENFERS : DE LA DIVINE COMEDIE A SAINT SEIYA voir la fosse 1à10)

    http://leschampsdemaldoror.voila.net/textes/enfer21.htm (l'enfer de dante)

    http://jacques.prevost.free.fr/cahiers/cahier_31.htm (arts et sciences, hommes et dieux. cahier 31 la divine comédie de dante)

    http://remacle.org/bloodwolf/italiens/dante/table.htm (la divine comédie de dante - l'enfer)

    http://jesusmarie.free.fr/augustin_cite_de_dieu_livre_15.html (Saint Augustin d'Hippone La Cité de Dieu - livre 15/22)

     

    Le pandémonium, lieu de satan par Jonh Martin '1825' (musée d'Orsay):

    http://profondeurdechamps.com/2013/09/05/satan-un-bouc-emissaire

     

     


     

     

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    Les origines de la culture 4) Le scandale du christianisme partie 1

     

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture" dont c'est ici l'article 3-1)

    wikipedia.org -René Girard

     
     

     

     

     

     

     

     

    Les livres de René Girard: 

     

     

     

    amazon.fr -Les-origines de la culture (Entretiens-Pierpaolo) (2006)

     

    Mes articles sur "les origines de la culture": 

     

    Dans l'article 2 nous avons vu comment João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture": "cet essai tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant, "une seule et longue argumentationpour reprendre les mots de Charles Darwin.   Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin. 

    Après cette introduction, nous avons commencé la lecture du livre de René Girard par le chapitre "Une théorie sur laquelle travailler: le mécanisme mimétique". Je résume et donne dans ces articles ma lecture des questions posées à René Girard (en caractères gras) et de ses réponses

    Dans les articles 3-1 et 3-2 ("Une théorie sur laquelle travailler"), nous avons analysé le mécanisme mimétique en tant que fondement de l'ordre social et de la culture. Nous avons conclu que le monde moderne peut se définir comme une série de crises mimétiques toujours plus intenses, mais qui ne sont plus susceptibles d'être résolues par le mécanisme du bouc émissaire. Nous allons voir pourquoi dans cet article qui va s'intituler "Le scandale du christianisme".partie 1

     

    Exergue: "Un essai en hébreu est même paru à son propos, montrant que la théorie est contenue dans l'Ancien Testament!Charles Darwin  autobiographie.

    1) L'anthropologie de la bible.

    Vous développez une nouvelle approche de la Bible et en particulier des Evangiles, que vous étudiez d'un point de vue anthropologique. Vous affirmez qu'il y a dans la Bible une vision anthropologique décisive concernant le mécanisme de la victime, vision qui non seulement révèle, mais aussi refuse le mécanisme mimétique. En ce sens, la source de l'anthropologie mimétique serait dans la Bible.

    paroleetlumiere.blogspot.fr -L’Esprit Saint, souffle vital de l’Église !

    a) L'anthropologie mimétique consiste à reconnaître la nature mimétique du désir, à développer les conséquences de ce savoir, innocenter la victime unique et à comprendre que la Bible et les Evangiles ont fait cela avant nous. Le mythe est contre la victime alors que la Bible est pour elle. Prenons le cas de Job. On assiste à une sorte de procès totalitaire digne de l'inquisition où  les trois "juges" illustrent à la perfection le principe d'unamité contre la victime. Les "amis (?)" de Job essaient de le convaincre qu'il mérite d'être condamné et Job, de temps à autre faiblit au point qu'il est prête à reconnaître qu'il est coupable. Finalement, il se redresse et affirme: "Je sais, moi, que mon défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière" (Job 19,25). Le mot paraclet, qui définit l'Esprit Saint, est lié à ce concept de défenseur (Paraclet (παράκλητος, Parakletos ; en latin "Paraclitus") est un mot d'origine grecque qui signifie « celui qui console », ou « celui qui intercède », l'« avocat »). C'est "l'avocat de la défense" contre l'accusation formulée par Satan, éthimologiquement "l'accusateur" (Satan, en hébreu, signifie "adversaire", "opposant", traduit par épiboulos "comploter contre) dans la septante ou aussi "accusateur", traduit par ho diabolos ("calomniateur", "médisant") dans jb 1,6 sq., Za 3,1)
    Dans Job, les trois amis sont les accusateurs, donc la voix de Satan, voix de l'ancienne religion, de l'ancienne exécution. Mais cette voix est contestée par Job. Dans l'ancien ordre sacrificiel, la crise mimétique était résolue par le déclenchement du mécanisme émissaire, qui polarisait toute la violence sur une seule victime. Ceux qui accusent la victime sont les représentants de Satan, l'accusateur, tandis que dans le nouveau testament, le Christ est la voix du défenseur, qui nous avertit: "Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre" (Jn 8,7). On voit là toute la différence entre l'archaïque et le judéo-chrétien dans ces attitudes opposées. 

    Nietzsche en parle, mais dans un tout autre esprit. En fait, il a pris le parti des persécuteurs, même s'il croît penser contre la foule. En effet, l'uninamité dionysiaque est la voix de la foule. Le Christ n'a guère en effet qu'une douzaine d'apôtres de son côté et même ceux-là vacillent. Nietzsche ne perçoit pas la nature mimétique de l'unanimité ni le sens de l'éclairage apporté par le christianisme sur les phénomènes de la foule. Comment pourrait-t-il voir que le dionysaque c'est la foule et que le chrétien (révélé par Jésus) c'est l'exception héroïque.


    b) Pourquoi le phénomène du meurtre fondateur est-il si difficile à établir?

    Le meurtre fondateur est le phénomène (phénomenon signifie "briller", apparaître", "surgir en pleine lumière") qui ne peut apparaître, parce que tout le monde est uni contre la victime s'il a atteint son but, victime qui apparaît, elle, vraiment coupable. Si le meurtre fondateur manque son but, en revanche, si l'unanimité ne se fait pas, il n'y a plus rien à voir. Et donc, pour que le phénomène devienne observable, il faut que les témoins lucides soient très peu nombreux et trop insignifiants pour troubler l'unanimité des persécuteurs. C'est bien le cas de la passion. Les premiers défenseurs de Jésus vont partager son sort et devenir des martyrs, c'est à dire des témoins de la mort du Christ, et en mourant pour la vérité, ils deviennent eux-mêmes des boucs émissaires 

    wikipedia.org -Martyre de 10000 chrétiens: Dürer

    (Martyr vient du grec "martur", "témoin", celui qui est spectateur d'un événement, C'est aussi celui qui prouve la force et l'authenticité de sa foi en suivant jusque dans la mort l'exemple du Christ). Il ne faut pas oublier que Saül, le futur Paul approuvait ce meurtre:  Ac 8:1-"Saul, lui, approuvait ce meurtre. En ce jour-là, une violente persécution se déchaîna contre l'Église de Jérusalem. Tous, à l'exception des apôtres, se dispersèrent dans les campagnes de Judée et de Samarie". Ce n'est que plus tard, qu'il prend conscience d'être un persécuteur après s'être converti au christianisme. Il entend alors la question essentielle: "Je tombai par terre, et j'entendis une voix qui me disait: Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu?" (Ac 22,7). C'est en effet la question cruciale qui nous fait découvrir que nous sommes des persécuteurs sans le savoir car toute participation à un phénomène de bouc émissaire est la même faute que la persécution du christ et tous les hommes commettent cette faute. 

     

     

    c) Le mécanisme mimétique aurait t-il donc à voir avec le péché originel? 
    Oui. On peut considérer que le péché originel serait le mauvais usage du mimétisme et le mécanisme mimétique est la conséquense de cet usage au niveau collectif par la désignation du bouc émissaire. En général, les gens ne perçoivent pas le mécanisme mimétique alors qu'ils participent à toutes sortes de rivalités qui sont à l'origine de ce mécanisme.  Il produit une forme de transcendance qui joue un rôle essentiel dans la stabilité des sociétés archaïques. En fait, il est indispensable à la survie et au développement de l'humanité. On retrouve ici l'idée de "transcendance  sociale" de Durkheim, qui d'un point de vue judaïque et chrétien est pure idolâtrie, mais pourtant, c'est ce "sacré illusoire" qui préserve les communautés humaines archaïques de ce qui pourrait les détruire. On le retrouve dans Epître aux Ephésiens 6, 12-13: "Car ce n'est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes...". Même si ces puissances dont parle Paul sont condamnées, il ne faut pas essayer de les détruire par la force, il faut même leur obéir. Le sacré archaïque est "satanique" quand il n'y a rien pour le canaliser et le contenir et les institutions sont là pour faire ce travail tant que le Royaume de Dieu ne triomphe pas.
    liens: cairn.info -L'idée de vérité chez René Girard

    2) Mythe et monothéisme.

     

    mythe.canalblog.com -le mythe d'oedipe


    a) Le fait que le judaïsme et le christianisme soient des religions monothéistes est-il fondamental dans la réécriture qu'ils opèrent du mythe et du sacré antique?

    wikipedia.org -Révélation

    Oui, car le Dieu du monothéisme est complètement "dévictimisé". Dans le monde archaïque,  chaque fois que le mécanisme du bouc émissaire fonctionne, un nouveau dieu surgit. C'est pourquoi le polythéisme possède beaucoup de fondations victimaires qui révèlent des divinités fausses, inexistantes, mais protectrices en raison de l'ordre sacrificiel qu'elles font respecter. 

    Remarque concernant le passage du polythéisme au monothéisme: au tout début de la Genèse (Gn 1,1), le mot utilisé pour désigner Dieu est Elohim, qui est la forme plurielle de la racine eloh, qui fait normalement référence au divin. Elle vient elle-même d'une racine plus ancienne, el, qui signifie Dieu, la déité, la puissance, la force... L'utilisation du pluriel dans la nom de Dieu et l'ambiguïté de son étymologie (le terme eloh {alef-lamed-heh}est la racine du verbe "jurer" ou "faire serment" aussi bien que du verbe "déifier" ou "vénérer") semblent être une preuve de la nature sacrificielle de la déité originelle, qui présente le caractère d'être à la fois maudite et déifiée, comme c'est toujours le cas des victimes du mécanisme de bouc émissaire, qui sont à la fois le mal suprême, puisqu'elles sont responsables de la crise, et le bien suprême, puisqu'elles restaurent la paix. L'origine de la culture est sacrificielle et la Bible comporte cet élément à son début. Et si le texte biblique commence par une référence explicite à la religion archaïque du polythéisme, il passe en meme temps à la nouvelle religion monothéiste de Yahvé. D'ailleurs le mot Yahvé, sans doute d'origine mosaïque, apparaît dans Gn 2,4, et se retrouve dans toute la version hébraïque de l'ancien testament. Cependant, le mot disparaît dens le nouveau testament. La venue du Christ apporte un énorme changement dans la relation de Dieu avec son peuple. A partir de là, Dieu est vu uniquement comme le Père de tous les vrais croyants, juifs aussi bien que gentils sans qu'aucune distinction soit faite entre eux, comme l'explique Paul (Rm 10,12).

    Depuis le commencement, le judaïsme est le refus absolu de la machine à fabriquer les dieux. Dieu n'est plus jamais victime, et les victimes ne sont plus divinisées: c'est la RévélationHistoriquement, la Révélation a lieu en deux phases. Dans la première, il y a un passage du mythe à la bible, passage où Dieu est dévictimisé et les victimes dédivinisées. Dans la deuxième phase, vient ensuite la Révélation évangélique où Dieu participe à l'expérience de la victime, mais délibérément cette fois, pour libérer l'homme de sa violence. On voit apparaître la victime pour la première fois dans l'ancien testament. Elle est seule innocente au sein d'une société devenue, elle, coupable. C'est ainsi que Joseph est un bouc émissaire réhabilité, entouré d'une aura d'humanité où le récit biblique possède un réalisme qui est absent dans les mythes. Dans cette Egypte historique, Joseph apparaît comme le bouc émissaire de ses frères qui sont jaloux de lui (Gen 37,11). Puis il est condamné par les Egyptiens dans l'affaire Putiphar, mais ici encore, le texte nous dit qu'il n'est pas coupable puisque c'est la femme de Putiphar qui voulait faire de lui son amant (Gen 39,7): A voir: deborahfontana69.centerblog.net -la femme de Potiphar et bldt.net -Joseph et la femme de Putiphar  

    Il est à noter que le texte hébraïque réhabilite sans cesse Joseph et les situations se résolvent de façon contraire à celle du mythe d'oedipe (Voir II: D’Œdipe à Joseph : figure du coupable, figure de la victime: "[...] en confrontant le mythe d’Œdipe à l’histoire du héros biblique, il ressort que les deux histoires se ressemblent, mais qu’elles livrent des leçons opposées).  De même, le mythe d'oedipe n'est pas le seul à être contredit par l'histoire de Joseph car c'est la structure même du mythe qui est contraire au message biblique. Dans le mythe, à la question: "le bouc émissaire est t-il coupable?"  la réponse est toujours "oui". Jocaste et Laïos ont raison de chasser Oedipe, puisqu'il va commettre le parricide et l'inceste. Le héros est accusé à tort, mais le récit mythique confirme toujours sa culpabilité. Dans le cas de Joseph et du récit hébraïque, tout fonctionne en sens inverse. La question est la même, mais la réponse révèle un monde entièrement différent. Il y a une opposition fondamentale entre les textes bibliques et les mythes. Le mythe accuse et dit qu’on a raison d’expulser le responsable, Œdipe ; la Bible dit non, Joseph n’est pas responsable et en plus il permet de résoudre la crise en anticipant la famine. Le mythe est donc complice de la violence collective, la Bible non (voir partie II D’Œdipe à Joseph).


    liens: carnetsdusiecle.hautetfort.com -René Girard : Révélation évangélique

    fangpo1.com -Yahvé Dieu terroriste

    leconflit.com -Le violence et le sacré de rené girard (oedipe revisité)
    rene.pommier.free.fr -Œdipe enfin disculpé grâce à René Girard

    crdp.ac-paris.fr -Joseph ou le renoncement à la convoitise

     

     

     

     

    wikipedia.org -Benjamin_(Bible)

    b) Peut-on dire que la Bible réécrit toute l'histoire des mythes et qu'elle inclut par là-même un élément d'intertextualité par rapport 
    On n'a pas à passer par l'intertextualité pour tous les récits bibliques, mais ici l'histoire de Joseph est exemplaire est exemplaire en ce sens qu'elle est effectivement la réécriture d'un mythe, qui va contre l'esprit mythique parce qu'elle repésente l'esprit mythique comme une source de mensonge et d'injustice. Ce problème apparaît parfois de façon latente dans la conscience de certains poètes tragiques tels Sophocle lorsqu'il suggère que de nombreux assassins ont tué Laïos (passage que les critiques s'abstiennent en général de commenter): Oedipe pose dans ce passage d'oedipe Roi une question précise: comment un et plusieurs peuvent t-ils être la même chose? ("[...]ce sont des brigands, à ce que tu déclarais, qui selon lui [un témoin], ont assassiné Laïos. Eh bien, s'il maintient ce pluriel, ce n'est pas moi l'assassin: un et plusieurs, cela ne saurait revenir au même. Mais s'il ne parle que d'un seul homme, d'un voyageur solitaire, la chose est claire, dès lors, et c'est sur moi que cela retombe. Sans le comprendre sans doute, Sophocle définit pourtant là le principe du bouc émissaire. Il semble en avoir conscience et deviner la vérité, mais il ne l'exprime pas aussi clairement que les rédacteurs de la Bible. Comme il écrit à une époque où l'immersion dans le cadre mythique, qui veut que le mythe soit raconté toujours de la même façon, est quasi totale, peut-être eût-il été lynché s'il avait supprimé la mise à mort?
    Au contraire, l'histoire biblique change la fin et le dernier épisode prouve que l'histoire de joseph porte bien sur le rôle du bouc émissaire. Joseph accueille ses frères qui viennent de Palestine et demandent du grain, il leur en donne. Ils ne reconnaissent pas Joseph habillé en grand seigneur égyptien, mais Joseph, au contraire, les reconnaît. Il leur donne du blé et dit "Prenez le grain dont vos familles on besoin et rentrez chez vous, mais la prochaine fois, ramenez-moi votre plus jeune frère et je saurai que vous n'êtes pas des espions mais que vous êtes sincères." (Gn 42,33-34). En effet, ils n'avaient pas amené Benjamin, le plus jeune des fils de Jacob, qui est leur demi-frère et le fère de Joseph (ce sont les deux derniers fils). Ils partent mais reviennent lorsque la faim les tenaille à nouveau, mais cette fois-ci avec Benjamin. Avant leur retour, Joseph demande à un de ses serviteurs de cacher une coupe précieuse dans le sac de Benjamin. A la frontière, on les fouille, on trouve la coupe et on les arrête. Joseph dit: "l'homme aux mains duquel la coupe a été trouvée sera mon esclave, mais vous, retournez en paix chez votre père." (Gn 44,17). Il leur offre en fait, de se tirer d'affaire au dépens de leur plus jeune frère, tout comme ils s'étaient débarassés de lui-même, Joseph. Benjamin joue donc ainsi le rôle de bouc émissaire. Les frères acceptent tous, sauf Juda qui dit: "Maintenant, que ton serviteur reste comme esclave de Monseigneur à la place de l'enfant et que celui-ci remonte avec ses frères. Comment en effet pourrais-je remonter chez mon père sans que l'enfant soit avec moi? [...] (Gn 44,33-34). Emu par ce dévouement, Joseph pardonne alors à tous et leur propose de s'installer en Egypte, avec leur père.

    On voit là le renversement des boucs émissaires opéré par le texte biblique par rapport aux textes mythiques où le thème du pardon accordé à ceux qui ont désigné le bouc émissaire apparaît à la fin. Cette fin effectue une relecture des textes mythiques, qui innocente la victime au lieu de la condamner (la coupe est placée dans les bagages de Benjamin, qui est en fait la figure de Joseph). Dans le mythe, au plus fort de la crise mimétique, quand une victime est choisie comme bouc émissaire, on utilise une fausse preuve afin de démontrer qu'elle est réellement coupable. L'histoire de Joseph montre bien avec sa conclusion que la lecture de cette histoire dans la perspective du bouc émissaire est la bonne. Cette éternelle histoire de la violence collective, au lieu d'être racontée de façon non critique, mensongère, comme dans la mythologie, est racontée dans sa version véridique, comme cela sera encore une fois le cas dans la Passion du Christ. C'est pourquoi le christianisme traditionnel voit en Joseph une figura Christi.René Girard affirme "c'est anthropologiquement, scientifiquement vrai."

    c) D'ailleurs le Judas de cette histoire est l'ancêtre biblique du Christ.

    wikipedia.org -Sermon_sur_la_montagne

    Oui c'est vrai. Judas annonce le Christ parce qu'il consent à être pris comme bouc émissaire à la place de son frère fin de le sauver. Auparavant, la Bible avait montré l'adoucissement du sacrifice sanglant, dans le sacrifice annulé d'Isaac, avant d'en proclamer la fin, avec le Christ. "Voici le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste?" avait demandé Isaac à son père. la réponse d'Abraham est extraordinaire: "Mon fils, Dieu se pourvoira lui-même de l'agneau pour l'holocauste." Gen 22,7-8. C'est une allusion prophétique au Christ en ce sens qu'il se sacrifiera lui-même pour en finir à jamais avec toute violence sacrificielle. C'est en même temps le renoncement au sacrifice de l'enfant, partout sous-jacent dans les débuts bibliques, et son remplacement par le sacrifice animal. Plus tard cependant, dans la littérature prophétique, les sacrifices animaux ont perdu leur efficacité: "Tu ne voulais ni sacrifice ni oblation, tu m'as ouvert l'oreille, tu n'exigeais ni holocauste ni victime, alors j'ai dit: Voici, je viens.(Ps 40 (39),7. Donc, la Bible apporte non seulement le remplacement de l'objet qui doit être sacrifié, mais la fin de l'ordre sacrificiel lui-même, grâce à la victime consentante, le Christ.  Mais pour se libérer du sacrifice, il faut renoncer aux représailles mimétiques, "tendre l'autre joue." En effet, la rôle du mimétisme est tel dans la violence humaine que les recommandations de Jésus dans le Sermon sur la montagne n'ont rien de masochiste et ne sont pas excessives. Elles sont réalistes, compte-tenu de notre tendance presque irrésistible aux représailles. Dans la Bible, l'histoire du peuple élu apparaît comme une tendance à la rechute constante dans le mimétisme violent et ses conséquences sacrificielles comme dans l'épisode où le peuple de Moïse est prêt à le tuer, lui et Aaron, à l'unanimité: "Toute l'assemblée parlait de les lapider, lorsque la gloire de l'Eternel apparut sur la tente d'assignation, devant tous les enfants d'Israël." (Nb 14,2-10).


    d) C'est à ce moment que la révélation et le monothéisme se seraient opposés au phénomène du bouc émissaire et au polythéisme?                                                                    On ne peut parler d'opposition car une opposition serait mimétique, mais il s'est produit quelque chose de plus puissant à la longue: le phénomène d'acceptation qui est aussi la révélation. La thèse de Freud, selon laquelle, en fin de compte, Moïse a été assassiné, est certainement profonde et authentiquement biblique (L'homme Moïse et la religion monothéiste). Freud s'est appuyé sur une légende juive racontant que Moïse a été tué. Se doutait t-il que des rumeurs analogues existent au sujet de Romulus, Zoroastre et de la plupart des fondateurs des religions. Zoroastre aurait été tué par les défenseurs du sacrifice qui auraient voulu le punir pour son opposition à cette institution.  Freud n'a jamais fait le lien entre toutes ces histoires qui se ressemblent et c'est peut-être pour cela qu'il n'a jamais découvert le mécanisme du bouc émissaire ou, comme Darwin, il manifeste la laïcisation de 19ème siècle scientiste qui refuse dèjà le message biblique.. 

                                      

    liens: wikipedia.org -Zoroastrisme

    classiques.uqac.ca -Moïse et le monothéisme par sigmund freud (1939)

    amazon.fr -L'homme Moïse et la religion monothéiste

    jeanzin.fr -Moïse et le monothéisme

    therapiesenligne.be -Sigmund FREUD (1912) TOTEM et TABOU


    e) Si dans le récit biblique, la culture est déterminée par un péché originel, les Evangiles apportent t-elles une réinterprétation radicale de cette origine, interprétation qui suggère une alternative?  Peut-on dire que le nouveau testament est une relecture non seulement des mythes, mais aussi de l'ancien testament?

    Il ne faut pas parler de réinterprétation, mais de révélation. Elle consiste à reproduire le mécanisme victimaire, mais en en montrant la vérité: la victime est innocente et tout repose sur le mimétisme. Dans les évangiles, où le point central est la Passion et la crucifixion, Jésus est innocent. L'imitation de la foule, le mimétisme collectif, la contagion violente, c'est là la vraie cause du reniement de Pierre, de la conduite de Pilate ou celle du mauvais larron. Tout repose sur une unanimité mimétique et fallacieuse. Cette vérité discrédite non seulement ceux qui ont crucifié Jésus, mais tous les faiseurs de mythes de l'histoire humaine. Par ailleurs, on peut constater une forte continuité entre l'ancien et le nouveau Testament. L'ancien Testament contient un certain nombre de drames qui racontent le meurtre de la victime unique. Le premier grand exemple est l'histoire de Joseph que nous avons examinée dans le chapitre 2 b). Si elle était mythique, elle prendrait le parti des frères contre Joseph. Elle fait l'inverse. Il en est de même de l'histoire de Job dans les chants du serviteur souffrant.

     

    wikipedia.org -le sacrifice d'Isaac

    f) Dans le christianisme, la victime qui sauve la communauté est le Christ. 

    Si Jésus sauve les hommes, c'est parce que sa révélation du mécanisme du bouc émissaire en privant de protection sacrificielle oblige les hommes à s'abstenir de plus en plus de violence pour survivre. Pour atteindre le Royaume de Dieu, l'homme doit renoncer à la violence. Mais, toutes les communautés humaines ont rejeté et rejettent l'offre du Christ, rejet qui avait déjà commencé avec sa propre communauté lors de la crucifixion. Et ce rejet se poursuit maintenant partout et semble-t-il de plus en plus. Le Prologue de l'évangile de Jean dit pourtant: "Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas reconnu. Il es venu chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli et [...] la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçue(Jn 1,10-11  et 5). Mais, nous pouvons pourtant individuellement faire de notre mieux pour imiter Jésus: "Mais à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.(Jn1,12). C'est l'idée du salut personnel, qu'on atteint à travers l'esprit du Christ et du Père, révélée avec la Croix qui a permis de rétablir une communication entre l'homme et Dieu, relation qui avait été interrompue par le péché originel.

    Dans l'Ancien Testament, on trouve encore beaucoup de violence. Dans les Juges, et autres livres historiques, la violence mythique de la communauté contre les victimes émissaires est encore valorisée. Dans les Psaumes, il y a aussi la haine exprimée par la victime, haine suscitée par le désespoir de celui que ses voisins ont choisi, sans raison objective, pour jouer le rôle de bouc émissaire. Dans de nombreux systèmes religieux, le passage du sacrifice humain au sacrifice animal reste subreptice, alors que dans la Bible, il est souligné et glorifié, traduisant un adoucissement historique du sacrifice. De telles étapes sont soulignées dans des scènes extraordinaires, comme le sacrifice d'Issac, remplacé in extremis par un bélier, ce qui marque la fin des sacrifices humains et en particulier celui du fils aîné.

    lienshal.archives-ouvertes.fr -thèse sur la violence (mythique)

     

    g) Ne pensez-vous pas que vos lecteurs peuvent être déconcertés par votre lecture de l'histoire, qui rappelle sur certains points la tradition médiévale de l'interprétation figurale?

    Oui, mais la théorie mimétique redresse ce figural en montrant qu'il porte sur l'essentiel, c'est à dire la violence, non pas la violence divine, mais la violence humaine. Si nous revenons à SophocleOedipe-Roi, même s'il était interprété comme "la passion d'oedipe", comme une figura dont le Christ serait le consumatio (en quelque sorte l'accomplissement), était déjà perçu comme une victime, un innocent qu'on faisait souffrir, une préfiguration des souffrances de Jésus. C'est là une lecture la plus profonde, qu'on ne pouvait certes pas formuler dans le langage théorique que nous utilisons actuellement, mais c'était la bonne intuition car elle pressentait l'innocence de la victime et que Freud n'a pas vue, car il a pris à tort, le parricide et l'inceste comme des vérités. C'est là que s'est engendré un renouveau moderne du mythe parce que Freud croyait, ce qui était faux, qu'oedipe était coupable psychologiquement, même s'il ne l'était pas réellement. Il nous a en fait fait régresser vers une compréhension mythique des structures socio-psychologiques. 

    L'interprétation figurale a certainement des répercussions importantes dans le domaine religieux. Cette question de la représentation est importante: le mythe décrit le mécanisme tel qu'il apparaît à ceux qui réussissent à le faire fonctionner parce qu'ils ne perçoivent pas la nature de son fonctionnement et qu'ils sont les dupes inconscientes du processus. La Bible, qui considère le même mécanisme avec du recul, représente pleinement le mécanisme mimétique et peut donc en révéler la nature, du fait qu'elle voit l'essentiel, l'innocence de la victime émissaire.        

    liens: pdf.aminer.org -DE L'AMBIGUÏTÉ FIGURALE


    h) dans le premier chapitre de MimesisAuerbach propose une merveilleuse analyse de la différence entre les mentalités des cultures grecques et hébraïques en comparant l'Odysée d'Homère avec l'histoire d'Issac dans la bible. 

    encore une fois, chez homère, les héros restent dans le cadre mythique où le destin est fixé d'avance, et dans ce cadre, la victime est coupable avant même d'être divine, ce que  Auerbach, pas plus que les autres ne peut voir. Cependant dans Mimesis montre que notre mentalité moderne doit beaucoup plus aux récits biblique qu'à Homère. En effet; il y a dans la Bible une conscience de la dimension temporelle qui n'est pas présente chez Homère où la complexité psychologique des personnages est limitée, passant par alternance d'émotions et d'appétits alors que la Bible expose les divers plans de conscience et le conflit qui apparaît entre eux. 


    i) Dans "Figura", Auerbach affirme que Paul a été le premier à appliquer l'interprétation figurale aux textes bibliques. Pourtant vous semblez dire  que la structure même de l'Ancien Testament est figurale.

    Elle est plutôt prophétique, les prophètes se réfèrent déjà à des textes bibliques antérieurs pour discréditer la désignation violent et arbitraire du bouc émissaire. C'est le cas en particulier de Isaï 2,40-55, "le livre de la consolation d'Israël". Ce livre commence par la description d'une crise; où toutes les montagnes sont abaissées et toutes les vallées comblées

     Isaï 40, 3-4: « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur, dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu. Que toute vallée soit comblée, toutes montages et collines abaissées, que les lieux accidentés se changent en plaine, et les escarpements en large vallée.»

    Pour les exégètes, il s'agit de la construction d'une route pour Cyrus, le roi de Perse qui a libéré les juifs de l'exil. Ne s'agit-il pas en réalité d'une figura de la crise sacrificielle, du processus d'indifférenciation violente? En effet, il n'y plus de différence entre les montagnes et les vallées. De plus, ce passage est cité par Jean-Baptiste au début de chacun des quatre évangiles, ce qui signifie que Jésus surgit au paroxysme d'une crise, qui appelle la désignation d'un  nouveau bouc émissaire, qui sera précisément Jésusvoir Mt 3,3 ("Jean est celui qui avait été annoncé par Ésaïe, le prophète, lorsqu'il dit : C'est ici la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers") puis Marc 1,1-3Lc 3,4Jn 1,23. Ce sera Dieu l'occasion de se révéler.

    La notion de prophétie suppose le retour permanent aux crises antérieures qui permettent de prévoir leur résolution victimaire. Par exemple, dans les Evangiles, on trouve la phrase significative des PsaumesPs 109,3"Ils me haïssaient sans raison" ou ps 35,19: "que ne puissent rire de moi ceux qui m'en veulent à tort, ni se faire des clins d'oeil ceux qui me haïssent sans cause." C'est là la plainte de la victime d'un temps ancien, qui comprend qu'elle est choisie au hasard qu'elle est bouc émissaire. Ceci s'applique au Christ, qui est haï sans cause, quand tout le monde se met à imiter la foule de ses ennemis: et Pilate imite la foule par peur, ainsi que Pierre. Le livre de Job constitue lui aussi comme un immense Psaume, dans lequel la victime s'adresse à ceux qui s'apprêtent à le tuer, affirmant qu'il n'est pas coupable et que la foule va tuer un innocent ("Ils me haïssent sans raison.").

    Il faut reconnaître que dans les mythes, il y a toujours une bonne raison semble t-il, que ce soit dans le style parricide ou inceste, pour haïr la victime, mais en réalité, cette raison est illusoire, inexistante. Tout est dans la contagion mimétique, au paroxysme d'une crise toujours déjà mimétique. 

    Liens: communio.fr -Jésus bouc émissaire

     

    j) C'est pourquoi la victime est au coeur du texte biblique: Dieu lui-même sera la victime censée mettre fin à l'usage des victimes. Votre lecture (celle de René girard) montre que le texte se déconstruit dans cette réinterprétation des récits mythiques, mais il n'en conserve pas moins son centre, la victime. 

     

    menestreletgladiateur.blogspot.fr -Michaël Jackson ou l’idole d’un religieux archaïque planétaire

    En effet, la religion archaïque et le christianisme possèdent une structure similaire. Dans les religions, même les plus archaïques, l'homme a toujours vénéré ses propres victimes innocentes, mais sans s'en rendre compte. On peut dire que l'unité des religions se trouve dans le fait qu'elle se focalise sur la vénération de la victime. Certes, le Dieu du christianisme n'est pas le Dieu violent de la religion archaïque, mais le Dieu non violent qui accepte de devenir une victime pour nous libérer de nos violences.
    La découverte de l'innocence de la victime dérange puisque c'est en même temps la découverte de notre culpabilité. L'enseignement du message christique à travers la diffusion des Evangiles est aussi important que la révélation même. Cela permet de transformer le monde, non pas de façon brutale, mais graduellement, par assimilation progressive du message, qui s'arrange souvent pour se retourner contre le christianisme dès la philosophie des Lumières et surtout dans l'athéisme contemporain, qui est d'abord une protestation contre le religieux sacrificiel.
    liens: menestreletgladiateur.blogspot.fr -Michaël Jackson ou l’idole d’un religieux archaïque planétaire
    lemonde.fr -La religion contre le sacrifice, par Michel Serres

    Ici s'achève la partie 1 de cet article, "Le scandale du christianisme". Dans la partie 2, nous examinerons la Révélation et les religions orientales puis l'espace non sacrificiel et l'Histoire de la conscience sacrificielle. et nous terminerons l'article sur "celui par qui le scandale arrive".

     


    En complément à cet article, on peut noter qu'entre critique littéraire, théologie et anthropologie, René Girard révèle les liens unissant la violence et le religieux, et construit une « science des rapports humains ».  A cet égard, citons l'article de philosophie magasine qui illustre assez bien l'actualité: «â€¯L’accroissement de la puissance de l’homme sur le réel m’effraie »

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  • Physique quantique et intrication

     

     

     

    Je ne peux décidément quitter les mystères de la physique quantique et une vidéo vient d'attirer mon attention: "Au coeur de la mécanique quantique: un nouvel éclairage sur la lumière des atomes". Il s'agit d'une conférence dans le cadre des rencontres de l'Irfu (Institut de Recherche sur les lois Fondamentales de l'Univers) du 13/02/2013 par le professeur Alain Aspect (lauréat du prix Albert Einstein 2012, membre de l'Académie des Sciences) et Etienne Klein, chercheur au centre CEA de Saclay, chef du LARSIM (Laboratoire des Recherches sur les Sciences de la Matière).

    Depuis que j'ai découvert le phénomène de l'intrication quantique, j'ai éte fascineé par ce mystère mis en évidence par une science pourtant rationaliste, mais qui accepte ces phénomènes proches du magique, voire de l'irrationnel. Je revois avec plaisir les explications d'Alain Aspect et je me demande si on a pris la mesure de cet aspect de la science. Aspect insiste sur la profondeur de la pensée d'Einstein dont l'argumentation a peut-être permis la découverte de ces phenomènes qu'il avait du mal à accepter au nom de la rigueur de la pensée scientifique qui ne doit pas être irrationnelle. Un article de "halshs.archives-ouvertes.fr" complète la réflexion sur ces phénomènes d'intrication: "halshs.archives-ouvertes.fr -Albert Einstein, David Bohm et Louis de Broglie sur les ‘variables cachées’ de la mécanique quantique par Michel Paty*" 

     

    Je complèterai mon article au fur et à mesure de mes réflexions nouvelles et des commentaires que je recevrai afin qu'il serve de support l'amélioration de ma réflexions et de mes connaissances sur ce sujet.

     

     

     

    La Pensée (Paris), n°292, mars-avril 1993, 93-116.

     

     

    Albert Einstein, David Bohm et Louis de Broglie sur les ‘variables cachées’ de la mécanique quantique

     

     

    par Michel Paty*

    à David Bohm, in memoriam

     

    * Equipe REHSEIS, CNRS et Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75251 Paris-Cedex 05.




    Résumé.
    Les partisans des ‘variables cachées’ pour compléter la mécanique quantique d'une manière déterministe se sont appuyés sur les objections d'Einstein, et l'on a souvent cru que telle était aussi la position de ce dernier. On montre, par l'étude des travaux de David Bohm et de Louis de Broglie sur cette question et par l'examen de la correspondance échangée entre eux et Einstein, que ce dernier ne partageait pas le programme des ‘variables cachées’, ce qui confirme l'analyse de ses conceptions propres que nous avons effectuée par ailleurs.

    Abstract
    The positions of the proponents of ‘hidden variables’ to complete quatum mechanics in a deterministic way have often been identified to Einstein's one. We show, from the study of David Bohm's and de Louis de Broglie's works on hidden variables and from the reactions of Einstein through the correspondence he exchanged with them, that Einstein did not share the deterministic programme of hidden variables. This confirms what we previously could infer from the direct analysis if his own conceptions.



    1. Einstein et l'interprétation de la mécanique quantique.

    Einstein, qui avait largement contribué à la naissance et au développement de la physique des quanta, formula, comme on le sait, des critiques à l'encontre de la mécanique quantique telle qu'elle fut interprétée, à partir de 1927, par Niels Bohr et l'Ecole de Copenhague. La nouvelle théorie se présentait sous un formalisme élaboré, dont l'interprétation physique n'était pas évidente: l'Ecole de Copenhague-Göttingen en fournissait une où les considérations physiques étaient directement rapportées à des conceptions générales sur la connaissance, dont la ‘philosophie de la complémentarité’ de Niels Bohr exprime les tendances essentielles. En critiquant cet ensemble alors indissociable que constitua longtemps la mécanique quantique et son interprétation non seulement physique, mais aussi philosophique, Einstein s'interroge avant tout sur le caractère fondamental ou non de la théorie, en se montrant soucieux de préserver la nécessaire autonomie de l'interprétation physique, tout en réclamant de la théorie physique qu'elle satisfasse certaines exigences, de nature théorique et méta-théorique. 

    L'importance du caractère ‘fondamental’ a directement à voir avec ses travaux dans la direction de la théorie du champ, inaugurés par sa théorie de la Relativité générale. La physique, pour lui, a atteint un stade où elle ne peut se contenter d'être une simple ‘phénoménologie’; elle doit, d'une manière ou d'une autre, intégrer les leçons de la Relativité générale. Il sait bien - par son propre travail dans ce domaine - que les phénomènes quantiques relèvent présentement d'une approche différente de celle en termes de champ défini sur le continuum spatio-temporel, et ses considérations sur la mécanique quantique s'en tiennent à la spécificité de cette dernière. Mais, dans la mesure où elle est présentée par ses promoteurs comme une théorie fondamentale, et même définitive et complète, c'est par rapport à cette prétention qu'il l'interroge, d'autant plus qu'il faudra bien, un jour, raccorder dans une unité plus haute la théorie de la matière élémentaire et celle de la gravitation: par-delà ses critiques immédiates, c'est à un tel programme qu'il songe constamment. Il n'impose pas, pour autant, à la mécanique quantique les exigences qu'il formule pour une théorie du champ: il se demande seulement si elle peut servir de base pour aller plus loin.

    Faisant appel à des ‘expériences de pensée’, dont l'analyse permet de mettre à l'épreuve la cohérence logique des concepts et de la structure théorique qui les incorpore, il développe, au long des années, des considérations et des critères qui permettent de se prononcer sur la nature de ces concepts et des propositions théoriques. Parmi les exigences méta-théoriques ou épistémologiques qui sous-tendent son raisonnement, et autour desquelles celui-ci paraît s'organiser et se structurer, on trouve les catégories ou les notions de réalité, d'observation, de déterminisme, de caractère statistique des réprésentations, de théorie complète. Ces notions tiennent par ailleurs une place centrale dans sa pensée, par-delà le seul cas de la mécanique quantique. 

    Leur examen, à travers les textes d'Einstein sur la mécanique quantique, montre qu'elles se présentent dans un certain ordre de priorité, dont nous retiendrons surtout ici que le réalisme est strictement requis tandis que la question du déterminisme n'est que subséquente. 

    Le problème de la réalité physique se propose en premier lieu: il est inséparablement problème de la nature de cette réalité et problème de sa représentation. Pour les physiciens quantiques ‘orthodoxes’, il se confond avec la question de l'observation et de la mesure. Einstein veut montrer, au contraire, que la réalité physique peut être pensée, et donc décrite, indépendamment de l'acte de mesure. Lorsqu'il écrit à Michele Besso, en 1949, à propos de son article "Réponse aux critiques", qu'il y "défend le bon Dieu contre l'idée d'un prétendu jeu de dés continuel", il souligne que c'est "le bon Dieu", autrement dit, bien sûr, le Réel ou la réalité5, qui est au centre de ses remarques sur l'interprétation de la mécanique quantique, remarques qui constituent la part la plus importante de ce texte. Quant au "jeu de dés", ce n'est qu'un raccourci, frappant, mais qui renvoie à une argumentation plus complexe qu'une exigence immédiate de déterminisme ou un refus des probabilités. L'image de Dieu qui ne joue pas aux dés, qu'il a souvent reprise et qui a généralement été interprétée de manière simpliste, résume, en fait, l'ensemble des aspects, mêlés, de l'interprétation, de l'aspect statistique à l'effet de l'observation et de la mesure, et au problème de la description de systèmes physiques individuels.

    C'est donc, avant tout, en référence à la réalité physique que se pose le problème de la description théorique. La formulation de l'exigence de complétude théorique et sa définition constitue le deuxième temps dans la logique du raisonnement d'Einstein. La complétude théorique vient assurer, précisément, dans l'architecture de son argumentation sur la mécanique quantique, l'exacte adéquation de la représentation théorique à la réalité. Elle exprime la nécessité pour la théorie de rendre compte de tous les éléments de réalité qu'il est possible de caractériser par la pensée. A un élément caractérisé de la réalité doit correspondre une grandeur théorique définie dans une théorie complète. 

    Le troisième temps est consacré à la recherche d'un moyen de caractériser un système physique réel indépendamment du fait qu'on l'observe ou non: la notion de corrélation de deux sous-systèmes fournit ce moyen, dont Einstein exprime l'essence en énonçant un principe de localité ou séparabilité locale, concept physique qu'il développe dans ce contexte comme l'un des critères limitant à ses yeux les choix possibles dans l'interprétation d'une théorie, c'est-à-dire de ses concepts fondamentaux. Le déterminisme n'intervient qu'ensuite: ce n'est pas lui qui est revendiqué en premier lieu pour caractériser la complétude; l'ordre des raisons est inverse: l'incomplétude étant acquise pour des raisons rattachées à l'intervention des catégories et concepts qui précèdent, l'absence de déterminisme s'ensuit. En effet, le non-respect du principe de séparabilité locale par la fonction 
    Ψ qui décrit les systèmes quantiques, est la preuve, selon l'argumentation d'Einstein, que cette fonction ne peut pas fournir la description d'un système individuel. 


    La conclusion est que la mécanique quantique est une théorie statistique sur des ensembles de sytèmes: c'est à ce stade seulement, et non d'emblée a priori, ou à quelque moment précédent, que la question du déterminisme, vis-à-vis d'une représentation seulement statistique, se voit posée. A cet égard, ainsi d'ailleurs que par rapport à l'idée de causalité - avec laquelle on la confond souvent, bien que les deux, déterminisme et causalité, diffèrent -, la revendication d'Einstein est beaucoup moins absolue qu'on ne l'imagine communément, et elle est en tout cas nuancée: il faut, décidément, entendre ce qu'il veut dire quand il affirme que Dieu "ne joue pas aux dés".


    2. Les paramètres cachés pour restaurer la causalité et la localité. diversité d'opinions sur la position d'Einstein. 

    Le problème de la réalité physique et de l'observation constitue l'enjeu fondamental du débat entre Einstein d'un coté, Niels Bohr, Max Born et l'‘école orthodoxe’ de l'autre. La mise en évidence du concept de non séparabilité locale s'est imposée, à la lumière des dévelopements ultérieurs, comme le résultat le plus tangible de ce débat du point de vue physique: dans les conditions de la physique quantique, la réalité physique est ‘non séparable localement’, et la mécanique quantique rend bien compte de cette propriété.

    Ce n'est qu'assez récemment que l'attention a été attirée sur ce concept, à la faveur du résultat théorique important que constitue le théorème de Bell ainsi que des expériences de ‘corrélation à distance’ effectuées sur des systèmes quantiques voisins de celui imaginé dans l'expérience de pensée ‘EPR’. Jusqu'alors, la question de la non-séparabilité et de la non-localité avait été occultée par celle de l'indéterminisme, à quoi semblait se ramener, aux yeux de la plupart, le débat sur l'interprétation de la mécanique quantique.

    Mais la revendication d'Einstein concernant la réalité des systèmes physiques séparables localement ne doit pas être confondue avec les tentatives effectuées par ailleurs en vue de restaurer le déterminisme et la causalité. La nature probabiliste de la mécanique quantique semble impliquer que c'est seulement à partir de données statistiques que l'on peut reconstituer les propriétés de systèmes individuels; cette situation est inverse de celle de la physique classique, où les comportements d'ensembles statistiques sont au contraire déduits des comportements individuels, comme l'ont remarqué aussi bien Einstein que des partisans de l'interprétation orthodoxe, en matière de constatation d'un état de fait.

    C'est précisément dans la perspective de revenir à une situation plus traditionnelle à cet égard, et de restaurer, dans le domaine quantique, un déterminisme et une causalité au sens classique, en considérant la possibilité de décrire les systèmes physiques d'une façon qui ne soit pas seulement probabiliste, que les ‘théories à variables cachées’ ont été proposées par divers auteurs comme alternatives à la mécanique quantique.

    Selon cette approche, il convient d'ajouter, aux variables décrivant les systèmes quantiques, des paramètres supplémentaires qui complèteraient la description dans le sens d'un déterminisme strict (tout en préservant les relations de la mécanique quantique, qui seraient retrouvées à la limite des distributions moyennes de ces variables ou paramètres). Tel était le sens des théories de l'‘onde-pilote’ et de la ‘double solution’ proposées par Louis de Broglie déjà en 1926-1927, et des modèles variés qui furent élaborés ensuite. Les partisans de ces modèles revendiquaient la nécessité de compléter la théorie quantique en retrouvant le déterminisme et se recommandaient généralement des arguments d'incomplétude d'Einstein (dont l'idée, nous l'avons vu, était sensiblement différente). La question restait posée de savoir si ce déterminisme causal était ou non compatible avec la mécanique quantique: si oui, cette dernière serait une théorie statistique fournissant des moyennes sur des processus sous-jacents plus fins. Cette question s'est vue périodiquement reprise, depuis la preuve d'‘incompatibilité’ de von Neumann, qui s'avéra n'être, en fait, que relative à une classe restreinte de telles variables, jusqu'aux résultats de Bell selon lesquels c'est, en réalité, la classe entière des variables supplémentaires cachées ‘locales’ qui est incompatible avec la mécanique quantique. C'est ainsi que Bell fut amené à redécouvrir l'importance de la non-séparabilité locale, quelque peu occultée dans le débat sur le caractère complet ou non de la mécanique quantique qui avait glissé, pour bien des protagonistes, à un débat sur l'indéterminisme. 

    Il est vrai que le modèle de de Broglie de 1926-1927 et la preuve de von Neumann de 1932 furent élaborés avant l'argument ‘EPR’. Mais les partisans de l'approche en termes de variables cachées déterministes virent dans l'argument ‘EPR’ un appui à leurs thèses. Ils prenaient toutefois comme point de départ ce que l'argument ‘EPR’ donnait pour conclusion (la mécanique quantique décrit des ensembles de systèmes), sans se poser généralement le problème, essentiel dans l'argument, de la séparabilité et de la localité. Aux yeux de la plupart, la restauration du déterminisme rétablirait du même coup la localité (alors que, nous le savons désormais, les deux problèmes sont distincts). Remarquons que la position de David Bohm était sensiblement différente: il voulait rétablir le dterminisme, mais non la localité, puisque les modèles dont il fait état sont non locaux, comme le remarquera John Bell.

    On remarquera, avec ce dernier, une faiblesse de la terminologie: plutôt que de ‘variables cachées’, il serait préférable de parler de ‘variables incontrôlées’, dans la mesure où l'on ne peut, par hypothèse, en dire, en l'état actuel, davantage sur elles. Le terme ‘variables cachées’ pourrait laisser entendre qu'il s'agit d'une affaire de goût, et le physicien pragmatique n'en aurait cure, car, dirait-il, "pourquoi se préoccuper d'entités cachées qui n'ont d'effet sur rien?". Sous-entendu, pour Bell, si ces variables ont un sens physique, elles sont susceptibles de se manifester par un effet (effet que nous ne connaissons pas encore), et de prendre une certaine valeur, de la même façon qu'un particule, par exemple, se manifeste par la scintillation qui résulte de son impact sur un écran en une position donnée.

    On a souvent voulu voir en Einstein un partisan de cette solution, en raison de son attitude critique à l'égard de la mécanique quantique et de son refus d'un "jeu de dés fondamental", qui ont indéniablement joué un grand rôle dans la motivation de ces théories. Louis de Broglie, par exemple, tout en se rendant bien compte qu'Einstein se proposait pour les quanta un programme différent du sien, se sentit encouragé par l'attitude critique de ce dernier sur l'incomplétude et la description statistique dans son retour, en 1952, à la direction première (causale et déterministe) de ses recherches, ébauchées dès 1926, et qu'il avait abandonnées ensuite pour adopter la conception ‘orthodoxe’. Il nous reste donc à voir ce qu'il en est. Mais il est utile d'évoquer, en commençant, les opinions différentes sur ce sujet.

    Max Born fait cette assimilation de la position d'Einstein à une recherche de variables cachées déterministes. "Il attendait", écrit-il, "la mise sur pied d'une théorie plus exacte qui supprimerait cette incomplétude. Son espoir ne s'est pas encore réalisé, et les physiciens ont de bonnes raisons (qui reposent principalement sur les travaux de von Neumann […]) de croire que c'est impossible". La référence au théorème de von Neumann sur l'incompatibilité de la mécanique quantique et de variables cachées déterministes indique bien que Max Born identifie ces dernières et la voie recherchée par Einstein. Son commentaire à une lettre ultérieure de ce dernier exprime la même opinion. Bien qu'Einstein critiquât dans sa lettre le modèle déterministe proposé en 1952 par David Bohm, le trouvant "un peu trop facile", Born n'en continue pourtant pas moins d'estimer que la théorie de Bohm était "totalement conforme à ses propres idées" [d'Einstein].

    Abraham Pais constate, de son coté, dans sa biographie Subtle is the Lord, qu'il n'a jamais trouvé le terme ‘variables cachées’ dans les écrits ou dans les lettres d'Einstein, mais il ne s'attarde pas davantage sur le problème (il se dit d'ailleurs peu familier de la question des interprétations alternatives de la mécanique quantique).

    Selon Bell lui-même, dans l'article où il démontre son théorème suivant lequel de telles variables (à séparabilité locale) sont incompatibles avec les prédictions statistiques de la mécanique quantique, Einstein était partisan des variables cachées. "Le paradoxe d'Einstein, Podolsky et Rosen", écrit-il, "a été proposé comme un argument selon lequel la théorie quantique ne pouvait être une théorie complète, et des variables supplémentaires devaient lui être ajoutées. Ces variables additionnelles devaient rétablir dans la théorie la causalité et la localité". Bell indique ailleurs que deux textes d'Einstein, ses "Notes autobiographiques" et sa "Réponse aux critiques", "suggèrent que le problème des variables cachées présente un certain intérêt". 

    L'historien des sciences Max Jammer pense, quand à lui, qu'Einstein n'était pas partisan des variables cachées, et impute le crédit de l'opinion contraire au retentissement de l'article de Bell de 1964. Contestant, dans un texte sur "Einstein et les variables cachées", l'interprétation de Jammer, John Bell maintient que la position d'Einstein revient à défendre de telles variables, en se fondant sur les citations qu'il avait indiquées.. Dans la première, Einstein estime qu'il faut tenir ferme à l'hypothèse de l'indépendance de deux systèmes séparés spatialement (séparabilité locale). Dans la seconde, il compare la situation de la "théorie quantique statistique" à celle de la mécanique statistique par rapport à la mécanique classique. Pour Bell, cela signifie clairement une "adhésion à ce que l'on entend habituellement par variables cachées". Il donne deux autres citations d'Einstein qui (jointes au titre même de l'article ‘EPR’, "La mécanique quantique est-elle une théorie complète?") concluent à l'incomplétude de la théorie, à son caractère statistique résultant de cette incomplétude, et estiment qu'une théorie complète est possible. Bell indique également les références des lettres à Max Born dans lesquelles Einstein exprime son insatisfaction quant à l'interprétation de la mécanique quantique, et notamment son caractère statistique, récusant le "jeu de dés fondamental". 

    Bell identifie donc le diagnostic d'incomplétude de la mécanique quantique (et d'insatisfaction sur son caractère statistique) porté par Einstein et le projet de la compléter avec le "programme des variables cachées": pourtant, dans les textes qu'il mentionne, Einstein ne dit rien relativement à des variables cachées. Cette identification ne correspond pas à l'analyse que nous avons pu faire nous-même de ces textes. 

    Nous savons, certes, qu'Einstein nourrissait l'espoir, et peut-être le projet, de parvenir à une théorie complète des phénomènes quantiques. Mais la voie qu'il envisageait n'était pas de partir du schéma théorique existant et de lui ajouter des éléments qui manqueraient, en complétant simplement la théorie existante: il fallait, à ses yeux, la fonder sur d'autres bases (d'autres principes, plus fondamentaux, d'autres concepts, moins classiques et ‘mécaniques’). Si l'on entend par ‘variables cachées’ la perspective d'un déterminisme plus fin, fourni par une sous-structure qui serait simplement emboîtée dans la structure du niveau quantique, c'est-à-dire la perspective de garder comme point de départ les concepts classiques tels qu'ils sont employés en mécanique quantique, cette perspective n'est assurément pas la sienne. 

    Par contre, le programme de David Bohm dans ses premiers travaux, et celui de Louis de Broglie à partir de 1952, le premier concernant l'‘onde-pilote’, le second la ‘double solution’, allaient indéniablement dans cette direction. Einstein a maintenu avec ces deux chercheurs des relations étroites, et c'est à son témoignage direct que nous allons faire appel quant à sa position sur leurs tentatives. Comme nous allons le voir, elles ne le contentaient pas, même s'il suivait ces travaux avec une certaine sympathie, dans la mesure où ils exprimaient une insatisfaction à l'égard de la mécanique quantique dans son interprétation dominante, considérée comme théorie fondamentale et complète. 

    S'il ne nous paraît pas possible d'identifier le programme d'Einstein et celui des variables cachées, l'opinion contraire de Bell sur ce sujet n'en représente pas moins un élément important pour comprendre la signification profonde des développements sur la non-localité. Comme Bell l'a montré, la non-séparabilité locale est une propriété générale des systèmes quantiques, dont la démonstration n'est pas liée à l'un ou l'autre des modèles particuliers de "variables cachées" visant à restaurer le déterminisme et la localité (c'est l'ensemble des théories locales et déterministes - et d'ailleurs aussi indéterministes - qui sont contraires aux prédictions de la mécanique quantique). Cette propriété transcende, pour ainsi dire, ces modèles, et s'applique à toute théorie qui se proposerait de reproduire la mécanique quantique à titre d'approximation. Bell a obtenu son théorème, qui est ainsi un théorème général sur la non-localité, en transcrivant mathématiquement, comme il l'a lui-même indiqué, l'hypothèse de séparabilité locale d'Einstein en termes de paramètres cachés, et en comparant les prédictions ainsi obtenues à celles de la mécanique quantique considérées pour les mêmes systèmes. Les variables cachées qui interviennent dans les calculs intermédiaires disparaissent dans l'expression des grandeurs physiques finalement comparables. 

    Les ‘variables cachées’ au sens de Bell, telles du moins qu'il les envisage dans ses premières recherches sur la localité, ne s'identifient pas à un modèle d'un type particulier, quel qu'il soit. Elles sont simplement le moyen d'exprimer mathématiquement une propriété générale de systèmes physiques (la non-séparabilité locale) sur laquelle la mécanique quantique restait a priori muette: bien qu'elle fût inclue dans le formalisme, cette propriété aurait pu (n'eût été la démonstration du théorème) n'être qu'apparente et rester compatible avec une localité sous-jacente. On pourrait aussi bien, d'ailleurs, parler dans ce sens, pour la localité, si elle avait pu être maintenue, de ‘propriété cachée’ (ou incontrôlable, ou muette). Tel me semble du moins le sens profond de l'assimilation que fait Bell de la position d'Einstein au programme général des variables cachées: elle se justifie dans la perspective de sa propre recherche (c'est la méditation sur la localité au sens d'Einstein qui l'a amené à formuler son théorème), sinon du point de vue strictement historique. Au surplus Bell admet parfaitement que le modèle non relativiste de Bohm de 1952 était trop simpliste (ce dont Bohm convenait d'ailleurs). Lui-même considère, à vrai dire, la théorie de l'onde-pilote avec sympathie; mais ce qui le retient dans cette théorie, plutôt que son aspect de modèle causal, c'est qu'elle permet de régler un "problème de principe", qui préoccupait aussi Einstein, à savoir celui de la frontière entre la description en termes d'états quantiques et la description classique.


    3. Einstein et les premiers travaux de David Bohm sur l'interprétation causale.


    Peu après la publication de son livre, Quantum theory, apprécié par Einstein et Pauli et devenu un classique, David Bohm étudia la possibilité d'introduire des variables cachées en physique quantique. Dans son ouvrage, qui porte la marque d'une certaine influence de la philosophie de Bohr, il avait conclu à l'incompatibilité de telles variables avec la mécanique quantique, en raisonnant sur la base de l'expérience de pensée ‘EPR’; il trouvait qu'elles s'opposaient au principe d'indétermination, en requérant que des éléments simultanés de réalité correspondent à des grandeurs non-commutables. C'est "stimulé par ses discussions avec Einstein", et par d'autres critiques de l'approche de Bohr, qu'il revint sur la question. Son point de départ est une critique particulière de l'interprétation de la mécanique quantique, à savoir le caractère invérifiable de la prétention de cette dernière à être la description la plus complète d'un système individuel (Bohm greffe, en quelque sorte, un aspect de l'objection d'Einstein sur une perspective encore marquée d'observationalisme).

    Il propose alors de compléter la théorie en donnant une forme plus explicite à la fonction d'onde, ce qui revient en fait à supposer que chaque particule de l'ensemble décrit par la fonction 
    Ψ possède une position, x (qui constitue de fait la variable cachée), et une impulsion, mv, donc une trajectoire définie, qui est connue dès lors que l'état initial est donné. Au potentiel classique s'ajoute un potentiel quantique, fonction de la position, qui exerce une force réelle et s'avère être la source du mouvement non classique des particules. Les prédictions de la théorie retrouvent celles de la mécanique quantique, la différence résidant seulement dans l'interprétation de Ψ supposée représenter un champ réel (la variable décrivant la trajectoire demeure cachée dans la mesure où il n'est pas possible de connaître la position initiale). 


    Pour l'essentiel, la théorie de David Bohm est analogue à celle de l'onde-pilote proposée par Louis de Broglie au Conseil Solvay de 1927, et réfutée alors par Pauli. Bohm la compléta par une théorie de la mesure, dans laquelle la variable cachée dépend en même temps du système et de l'appareil de mesure, l'interaction des deux induisant des fluctuations instantanées du potentiel quantique sur tout le système (mais il s'agit d'un processus sans échange d'information, qui ne viole donc pas le principe de relativité). Il rendait compte de la sorte de l'expérience de pensée ‘EPR’: la suppression du paradoxe réside, à vrai dire, en ceci que l'explication proposée équivaut à une traduction de la non-séparabilité (avec cet avantage de l'affranchir de la difficulté de la réduction de la fonction d'onde).

    Contrairement à l'attente de Bohm, Einstein ne manifesta pas un grand enthousiasme pour sa proposition. "J'ai le sentiment", lui écrit Bohm, "que vous ne voulez pas accepter ce point de vue, pour la raison que vous le regardez comme non plausible". Et d'exposer à son correspondant qu'à ses yeux la plausibilité est un sentiment subjectif et que les seuls critères d'acceptabilité ou de rejet d'une théorie sont sa cohérence interne, son accord avec les faits connus, sa capacité à fournir une description objective de la réalité qui soit complète et précise. Un peu plus tard, Bohm fait état de ce que "Pauli a admis la consistance logique" de sa propre interprétation, mais qu'"il continue d'en rejeter la philosophie" en disant "qu'il ne croit pas en une théorie qui puisse même nous permettre de concevoir une distinction entre le cerveau de l'observateur et le reste du monde". (Autrement dit, Pauli rejette toute idée de l'observation et de la mesure qui ne soit pas strictement conforme à l'interprétation observationaliste orthodoxe). 

    Tout en appréciant vivement l'indépendance de jugement du jeune physicien, Einstein n'est pas disposé à le suivre: sans doute parce que, à ses yeux, sa théorie en reste au cadre des concepts de la mécanique quantique, quand il faudrait les dépasser. Exprimant à Max Born le sentiment que la tentative de David Bohm "d'interpréter la théorie quantique dans un sens déterministe" lui "semble un peu trop facile", Einstein ajoute: "mais tu es évidemment mieux placé pour en juger". Si Born lui semble mieux placé pour en juger, c'est bien que, pour lui, la théorie de Bohm (tout comme celle de Louis de Broglie de 1927) n'est qu'une simple variante de la mécanique quantique, et elle en partage le caractère ‘empirique’. 

    Dans son texte de 1953 offert en hommage à Max Born, Einstein exprime son insatisfaction de la voie proposée par Bohm, retrouvant l'une des critiques de Pauli à l'onde pilote de de Broglie (la vitesse qui résulte des équations devrait être nulle, et l'on ne retrouve pas le mouvement classique à la limite macroscopique), et concluant que "la seule interprétation de l'équation de Schrödinger admissible jusqu'à présent est l'interprétation statistique donnée par Born". Bohm fait valoir, au contraire, que l'interprétation causale proposée par de Broglie (en 1927) et par lui-même permet de retrouver le cas macroscopique comme cas limite, et que c'est l'interprétation probabiliste de Born qui se trouve en défaut sur ce point. Il revient à la charge, comprenant que c'est la direction de pensée, plus que le détail de l'argumentation, qu'Einstein n'aime pas: "Mais vous n'avez pas prouvé que ce modèle est inconséquent, parce qu'il s'accorde avec tous les faits que nous connaissons actuellement", et "d'une manière générale je ne requerrais pas votre principe [de simplicité logique] pour rejeter une théorie". Si la protestation de Bohm sur ce dernier point est légitime, elle n'en éclaire pas moins la différence entre son point de vue et celui d'Einstein: le problème de ce dernier n'était pas de formuler un modèle théorique valide, mais une théorie entendue dans un sens fondamental, et c'est en pensant à une telle théorie qu'il invoquait le critère de simplicité logique.

    L'appréciation exacte d'Einstein sur les conceptions de David Bohm à cette époque et sur la voie déterministe et causale, nous la trouvons dans une lettre qu'il adressa à Aron Kuppermann en 1953. "Le Dr Bohm", écrit-il, "a redécouvert une idée de de Broglie vieille de trente ans et, avec une grande pénétration, l'a élargie et approfondie. Le but est d'obtenir la description du système individuel au lieu de l'ensemble auquel appartient le système". Pour Einstein, selon ce qu'il expose à son correspondant, il n'y a pas d'objection à faire, "d'un point de vue purement logique", à cette "interprétation du formalisme de l'actuelle théorie quantique". Mais elle lui semble cependant inacceptable "d'un point de vue physique" (à savoir le fait que, selon lui, la théorie de Bohm ne retrouve pas le cas classique comme limite). Et il conclut ainsi son commentaire: "Je pense qu'il n'est pas possible de se débarrasser du caractère statistique de la théorie quantique actuelle en ajoutant simplement quelque chose à cette théorie sans changer les concepts fondamentaux relatifs à la structure tout entière. Le principe de superposition et l'interprétation statistique sont inséparablement liés entre eux. Si l'on pense qu'il faut éviter l'interprétation statistique et la remplacer, il semble que l'on ne puisse pas conserver une équation de Schrödinger linéaire, qui implique, par sa linéarité, le principe de superposition des ‘états’". La remarque s'applique d'ailleurs aussi bien, par-delà le modèle en question - la théorie de l'onde-pilote dans la version de Bohm - à tous les modèles théoriques de ce genre. 

    La correspondance régulière que Bohm et Einstein continuèrent d'entretenir tout au long des mois suivants, jusqu'à la mort du second, nous permet de suivre la position d'Einstein en relation au développement des travaux de Bohm (en collaboration, en 1954, avec Jean-Pierre Vigier) dans la direction d'une théorie causale, cette fois relativiste. Bohm considère maintenant que la fonction 
    Ψ exprime bien une propriété statistique de la matière, et qu'elle est une approximation statistique d'un champ plus fondamental, le rapport entre les deux étant analogue à celui du mouvement brownien aux mouvements moléculaires sous-jacents. "Ce point de vue" écrit-il, "tend à se rapprocher de votre idée selon laquelle la mécanique quantique est ‘incomplète’". Bohm pense, en fait, que c'est au niveau subatomique (celui des particules élémentaires) que l'on trouvera la clé des lois causales (toutefois il n'exclut pas que ce puisse être au niveau de l'unification de l'électromagnétisme et de la gravitation, c'est-à-dire dans la direction privilégiée par Einstein). Einstein l'encourage, sans se prononcer sur la voie particulière choisie par son correspondant, soulignant la difficulté de l'approche fondamentale - et rappelant incidemment le caractère "trop facile" de sa solution antérieure


    A Einstein qui évoque l'éventualité d'abandonner le continuum et l'espace et le temps comme concepts fondamentaux, Bohm exprime l'idée que toutes les possibilités de description de la nature en termes de mouvements continus n'ont pas été épuisées. Il lui semble, par ailleurs, qu'il faudrait d'abord connaître les lois du microscopique, pour obtenir ensuite celles du domaine macroscopique comme approximation statistique, le chemin inverse (celui dans lequel il voit Einstein) lui paraissant douteux. "Bien sûr", précise-t-il, "il n'y a pas de raison pour que [le chemin du macroscopique au microscopique] ne marche pas; mais, tout compte fait, il semble plus vraisemblable que les lois à grande échelle impliquent un processus de moyenne qui laisse peut-être échapper des propriétés qualitatives importantes du niveau microscopique, de sorte que la clé fondamentale peut nous échapper si nous étudions seulement les lois de champ macroscopique". La remarque en elle-même est importante du point de vue méthodologique, et met le doigt sur ce qui est sans doute une faiblesse de l'approche d'Einstein. Celui-ci, comme nous le savons, ne fait pas de séparation entre les lois du microscopique et du macroscopique et recherche un principe formel qui soit applicable aux deux, tout en laissant de coté dans cette recherche les indications (à ses yeux trop empiriques, et cependant d'une richesse considérable) de la physique du microscopique. 

    Mais, par ailleurs, la considération de principe énoncée par Bohm est marquée par sa propre tentative d'alors, de modéliser les phénomènes physiques en termes de niveaux emboîtés les uns dans les autres, ce qui en restreint la portée. Son point de vue est, plus explicitement encore qu'avant, celui de variables cachées, responsables cette fois d'une dynamique sous-jacente: "Sous la théorie quantique, il y a un niveau subquantique de mouvements déterminés de façon continue et causale…", la théorie quantique étant retrouvée par passage aux moyennes (à l'instar du mouvement brownien, déjà évoqué). "En d'autres termes", explique Bohm, "les événements au niveau atomique sont contingents relativement aux mouvements (généralement irréguliers) de quelque espèce d'entité encore inconnue mais qualitativement nouvelle, qui existe sous le niveau atomique. Il en résulte que les relations entre les objets qui peuvent être définis au niveau atomique seront caractérisées par les lois du hasard, puisqu'elles ne seront déterminées qu'en termes d'un genre quasi-ergodique des mouvements de nouvelles sortes d'entités qui existent au niveau inférieur". 

    Cette idée d'une "hiérarchie sans fin de microstructures" ne plaît pas à Einstein: penser que la solution se trouve dans les structures sub-atomiques correspond, pour lui, à l'idée de la "grande majorité des physiciens contemporains", même s'"ils ne vont pas aussi loin" que Bohm. "Mon instinct", écrit-il à ce dernier, "ne me permet pas de suivre tout ce développement, même si c'est par une série impressionnante de découvertes empiriques que l'on y est parvenu et qu'il est testé". Et il lui rappelle sa voie propre: "Je ne crois pas à des lois pour le microscopique ou le macroscopique, mais seulement à des lois (de structure) d'une validité rigoureuse générale. Et je crois que ces lois sont logiquement simples, et que la foi dans leur simplicité est notre meilleur guide. Dans ce cas, il ne serait pas nécessaire d'avoir pour point de départ plus qu'un nombre relativement faible de faits empiriques. Si la manière dont la nature est organisée ne correspond pas à cette croyance, alors il ne nous reste que très peu d'espoir de la comprendre plus profondément". Mais il admet que la simplicité logique peut aussi nous tromper, si l'on ne part pas des bons concepts élémentaires: "Si, par exemple, il n'est pas exact que la réalité puisse être décrite comme un champ continu, alors tous mes efforts sont vains, même si les lois sont de la plus grande simplicité imaginable". 

    Pour Einstein, l'absence de possibilité de tester empiriquement sa théorie n'est pas non plus une preuve de sa fausseté. Elle tient à la nature mathématique des équations, non linéaires, et à l'impossibilité d'obtenir des singularités: "cela montre que nos méthodes mathématiques sont insuffisantes dans leur état actuel pour aboutir à une décision". "Je ne cherche pas à vous convaincre", indique-t-il à Bohm, "je voulais simplement vous montrer comment j'en suis venu à cette attitude. Ce qui m'a particulièrement frappé de manière très forte, c'est de m'être rendu compte qu'en utilisant une méthode semi-empirique on ne serait jamais parvenu aux équations de la gravitation pour l'espace vide. C'est seulement le point de vue de la simplicité logique qui peut nous aider ici (loi du champ relativiste la plus simple pour un champ tensoriel (symétrique)".


    4. Einstein et la direction des recherches de Louis de Broglie.

    Lorsque Louis de Broglie proposa, en 1926-1927, sa théorie de la ‘double solution’ (contemporaine de l'interprétation probabiliste de Max Born), il était mené par le souci de réconcilier les quanta de lumière d'Einstein (c'est-à-dire la lumière en tant que corpuscule) et les phénomènes optiques (entendons ondulatoires) de diffraction et d'interférences. Dans sa "nouvelle optique des quanta de lumière", le corpuscule lumineux est "une sorte de singularité au sein d'une onde étendue à laquelle il est incorporé, et qui guide son mouvement parce qu'il est solidaire de cette onde", selon une description résumée qu'il en donna plus tard: il en rapporte d'ailleurs l'inspiration à Einstein, qui avait formulé, à l'aube de la dualité onde-corpuscule, une hypothèse sur le champ à points singuliers, et dont l'idée de ‘champ fantôme’ guidant la particule de lumière pourrait fort bien l'avoir influencé comme elle l'avait fait pour Born.

    Mais l'onde en question ne pouvait être celle décrite par la fonction 
    Ψ de la mécanique quantique, homogène et ne contenant pas de singularité, et dans laquelle de Broglie voyait "une onde fictive", représentation incomplète et statistique ne décrivant que des moyennes. A la solution de la mécanique quantique devait correspondre une autre solution à singularité qui représenterait le système réel (et individuel) dans son comportement spatio-temporel. Avec cette théorie, qui prolongeait son extension de la dualité onde-corpuscule aux éléments de matière, de Broglie poursuivait son programme d'"obtenir une image précise du monde microphysique réalisant une véritable synthèse permettant de comprendre clairement la coexistence des ondes et des corpuscules". Il s'agissait, ce faisant, de préserver les caractères classiques du corpuscule, tout en réalisant son union avec l'onde, c'est-à-dire de remplacer la dualité onde ou corpuscule par une synthèse onde et corpuscule. Mais ce n'était encore qu'une ébauche de théorie, plus intuitive que rigoureuse, et dans la formulation de laquelle de Broglie se heurtait à de grandes difficultés mathématiques.


    De Broglie ne présenta au Conseil Solvay de 1927 qu'une version simplifiée de la théorie de la double solution, sous la forme de sa théorie de l'"onde pilote". C'est au sein de l'onde continue elle-même, solution de l'équation de la mécanique quantique (la fonction Ψ), qu'il place le corpuscule, en le supposant entraîné (guidé) par elle. La théorie se contente ici de constater la dualité onde-corpuscule, sans essayer de l'expliquer comme se le proposait la théorie de la double solution; sous cette "forme atténuée" de ses premières idées, elle avait "l'avantage de conserver la notion intuitive de corpuscule ponctuel bien localisé dans l'espace et de maintenir le déterminisme rigoureux de son mouvement". Mais ce qu'elle gagnait en simplicité et en caractère intuitif (au sens de l'intuition visuelle), elle le perdait en vraisemblance. Outre l'objection que Pauli ne manqua pas de lui opposer immédiatement, de Broglie lui-même se rendit compte que l'onde de la mécanique quantique ne peut représenter concrètement le mouvement du corpuscule en accord avec la physique classique (elle est une représentation sur l'espace de configuration, non sur l'espace physique, et il critiquait d'ailleurs lui-même pour cela la conception de Schrödinger qui interprétait cette onde comme réelle). 


    Pour cette raison, et d'autres, il renonça à cette direction de recherches et se rallia à la mécanique quantique orthodoxe. Mais à vrai dire, même dans ce long ralliement qui dura vingt cinq années, jusqu'en 1952, la mécanique quantique qu'il professait était encore essentiellement une théorie de la dualité onde-corpuscule, qui se satisfaisait, certes, d'une interprétation probabiliste pour une fonction d'onde à la signification physique abstraite. C'est à ces circonstances qu'Einstein fait allusion dans sa préface à la traduction anglaise du livre de de Broglie Physique et microphysique, écrivant, à propos des idées présentées dans le livre (dont l'original fut publié en 1947, donc avant le retour de de Broglie à ses idées antérieures): "Ce qui, cependant, m'a fait le plus impression, c'est la présentation sincère du combat pour parvenir à un fondement conceptuel logique de la physique, qui a finalement conduit de Broglie à la ferme conviction que tous les processus élémentaires sont de nature statistique". 

    Le travail de David Bohm retrouvant l'‘onde-pilote’ fut, nous l'avons dit, l'occasion pour de Broglie de reprendre son ancien programme d'une représentation spatio-temporelle de la physique quantique, c'est-à-dire de la dualité des ondes et des corpuscules que cette dernière n'avait, pour lui, fondamentalement jamais cessé d'être. Les améliorations apportées à la théorie par Bohm (notamment l'analyse des processus de mesure) permettaient d'écarter certaines des anciennes objections de Pauli. D'autre part, Jean-Pierre Vigier venait, de son coté, d'établir un rapprochement entre la théorie de la double solution de de Broglie et un théorème d'Einstein (formulé à la même époque que la première, en 1927) sur un sujet tout différent, la Relativité générale; selon ce théorème, les particules apparaissent comme des singularités dans la métrique de l'espace-temps, pour des équations non-linéaires, ce que Vigier raccordait aux idées de Bohm. En reprenant d'Einstein le thème de la complétude, de Broglie vit, dans ce regain d'intérêt pour son ancienne théorie, la possibilité de dépasser "l'indéterminisme et l'impossibilité de représenter les réalités de l'échelle atomique d'une façon précise" (tout en admettant la validité de la mécanique quantique actuelle) en direction d'"une réalité parfaitement déterminée et descriptible dans le cadre de l'espace et du temps par des variables qui nous seraient cachées, c'est-à-dire qui échapperaient à nos déterminations expérimentales". 

    Toutes les recherches ultérieures de Louis de Broglie furent dès lors orientées dans cette direction. A la théorie de la double solution, il devait plus tard adjoindre, à partir de 1960, l'idée d'une ‘thermodynamique cachée des particules’, c'est-à-dire de fluctuations de la localisation d'une particule, qui s'appuie sur l'équivalence, en thermodynamique, pour ce qui est du résultat, entre la fluctuation de position d'une particule unique localisée, et la répartition statistique d'un ensemble de particules localisées: ce qui revient à l'introduction d'un élément aléatoire dans la théorie de la double solution. En élaborant cet aspect de sa théorie, de Broglie invoquait la remarque d'Einstein, dans l'article donné par ce dernier à son volume jubilaire, faisant un parallèle entre la mécanique statistique et la loi du mouvement brownien qui ne fournissent, ni l'une ni l'autre, une base de départ pour une théorie complète. 

    Einstein avait suivi en leur temps les tentatives de de Broglie, comme toutes celles qui se proposaient de donner corps à la physique des quanta. Il avait même soutenu de Broglie au Conseil Solvay de 1927 et, sinon le détail de sa théorie, du moins la direction générale de sa recherche, dans la mesure où elle se portait sur ce qu'il considérait comme des difficultés réelles de la mécanique quantique. Toutefois, comme de Broglie lui-même devait en faire la remarque, si Einstein "[l]'encourageait dans la voie où [il, de Broglie, s'] était engagé", c'était "sans cependant approuver nettement [s]a tentative". De Broglie diagnostique d'ailleurs chez Einstein une "attitude réservée, [une] sorte de timidité devant la question des quanta, qui depuis 1925 l'avait empêché de faire et même d'encourager explicitement toute tentative de solution du problème des ondes et des corpuscules". 

    Dans le texte de 1953 offert en hommage à Louis de Broglie, Einstein évoque précisément les efforts de ce dernier pour "compléter la théorie ondulatoire des quanta, et chercher à donner, dans le cadre conceptuel de la mécanique classique (point matériel, énergie potentielle), une description complète de la configuration d'un système en fonction du temps - idée sur laquelle, assez récemment et sans connaître le travail de de Broglie, vient de retomber M. David Bohm (théorie de l'onde-pilote)". Les expressions mêmes qu'il emploie montrent bien comment Einstein voit le programme de de Broglie et celui de Bohm: comme la recherche d'une complétude théorique au sens du déterminisme de la physique classique. Il indique d'ailleurs aussitôt que ce n'est pas dans ce sens-là qu'il a lui-même orienté ses recherches: "J'ai pourtant sans cesse cherché un moyen de résoudre l'énigme des quanta d'une autre manière…".

    Sa direction propre, comme nous l'avons vu, est déterminée par la conviction que le point de départ fondamental doit être différent (tel est le sens de ses considérations sur l'incomplétude): "Il m'apparaît que la théorie quantique statistique constitue aussi peu un point de départ utilisable pour l'élaboration d'une théorie plus complète que, peut-être, la théorie du mouvement brownien fondée sur la mécanique classique et la loi de la pression osmotique n'aurait pu constituer un point de départ utilisable pour la construction de la mécanique cinétique des molécules, si la théorie du mouvement brownien avait précédé celle-ci".

    La correspondance échangée entre Einstein et de Broglie en 1953 et 1954 comporte des éléments d'un vif intérêt qui confirment et complètent ce que nous savons de leurs positions respectives. Ayant proposé à de Broglie, comme il l'avait fait à Bohm, de s'associer par des contributions qui préciseraient leurs points de vue respectifs à l'ouvrage en hommage à Max Born, Einstein lui dit se réjouir d'avoir ainsi l'occasion de savoir ce que Louis de Broglie pense actuellement "des fondements de la théorique quantique", et trouver utile que son article et celui de Bohm paraissent, car, dit-il, "je sais que l'intérêt pour les questions de principe est très vif dans la nouvelle génération de physiciens". De Broglie lui avait adressé une lettre d'acceptation par laquelle il annonçait l'envoi d'une courte note "précisant [son] point de vue actuel sur la question de l'interprétation de la Mécanique ondulatoire", et indiquait à son correspondant que son point de vue "est assez différent de celui de M. Bohm". La théorie de Bohm lui paraît "inacceptable sous sa forme actuelle", "parce qu'elle considère l'onde 
    Ψ comme une réalité physique": la double solution est plus satisfaisante à ses yeux, puisque l'onde Ψ de la mécanique quantique reste fictive, l'onde u étant seule réelle (c'est elle qui porte le corpuscule); mais son existence requiert des équations non-linéaires.


    Dans une lettre de mai 1953, Einstein commente la note que lui a envoyée de Broglie sur ses conceptions. Le point de vue de de Broglie est clair, dit-il en substance, il marque sa différence avec la théorie de David Bohm: "Vous ne croyez pas, si je vous comprends bien, à la possibilité d'adopter le programme de nouveau mis en avant par M. Bohm: a) solution de l'équation de Schrödinger par un champ Ψ ; b) adjonction d'une trajectoire compatible avec la fonction Ψ ". Puis il essaie de se résumer, pour lui-même, l'idée directrice de la nouvelle théorie de son correspondant (et, ce faisant, il en souligne les traits saillants): "Au lieu de cela vous proposez une représentation de la réalité physique (description complète) qui serait de la forme Ψ = Ψ.Ω Ceci constitue une forme de produit dans laquelle l'un des facteurs traduit la structure particulaire et l'autre la structure ondulatoire. Ce serait là en fait une représentation satisfaisante de la double structure que nous impose l'expérience. Ce serait une théorie vraiment nouvelle et non pas un complément des anciennes théories"


    Sous la forme ramassée ainsi proposée, Einstein extrait l'essence de l'idée de Louis de Broglie, considérée par rapport à sa propre préoccupation. Elle porte d'une part sur la possibilité d'exprimer le double caractère onde-corpuscule par un champ (nous savons qu'il a, quant à lui, abordé les choses différemment, ce caractère ne pouvant pas être fondationnel à ses yeux). Elle fait état, d'autre part, de ce qu'il ne suffit pas d'apporter "un complément" aux anciennes théories, comme le fait la théorie de l'‘onde-pilote’, mais il faut une théorie vraiment nouvelle (la théorie de de Broglie prétend être telle; nous savons que, pour Einstein, la théorie complète ne peut être obtenue qu'en changeant les bases de départ). Cette réaction d'Einstein, le besoin qu'il éprouve d'expliciter ainsi les deux traits saillants de la théorie proposée par de Broglie, est significative eu égard à la nature de ses propres doutes et de son propre programme: elle laisse bien voir la différence de son approche avec celle de Louis de Broglie. Cette différence concerne en premier lieu la dualité, dont une théorie nouvelle devrait, pour lui, s'affranchir, ne se proposant que de la retrouver à l'approximation de la théorie quantique actuelle.

    Si Einstein manifeste son intérêt pour les propositions de Louis de Broglie, de toute évidence il ne les reprend pas à son compte, ne serait-ce que parce qu'elles comportent trop d'arbitraire. On le devine, bien qu'il ne le dise pas expressément, à sa demande de précisions: "Pour autant que je puisse voir, pensez-vous que le produit doive satisfaire à l'équation initiale de Schrödinger, ou bien le facteur ‘ondulatoire’ seul doit-il posséder cette propriété, ou alors les deux facteurs, ou encore les deux facteurs et leur produit ?". Il poursuit en explicitant une autre condition de la solution envisagée par de Broglie (condition qui correspond au principe de superposition): "Votre but serait aussi atteint si la fonction cherchée pouvait être représentée par une somme de tels produits. Finalement, il ne paraît pas nécessaire que le tout puisse être représenté par une seule fonction (une composante), mais peut-être par un ensemble de plusieurs composantes". 

    Sa remarque la plus importante, qui nous éclaire sur ses propres vues, est relative à l'arbitraire, sur lequel il revient: "Vous pensez que cette liberté constitue un grand malheur pour les théoriciens. Cette liberté m'a tellement préoccupé que je me suis obstiné à rechercher un principe formel qui limiterait notre liberté…". La différence avec l'approche de de Broglie est ici plus nettement marquée encore: la voie d'Einstein est celle d'une recherche première d'un principe formel. "Mais", ajoute Einstein (et ce ‘mais’ marque à lui seul la différence), "nous avons en commun la conviction que nous devons rester attachés à l'idée de la possibilité d'une représentation entièrement objective de la réalité physique". On notera encore que c'est la réalité qui est mise en avant, et non la causalité ou le déterminisme, sur lesquels insistait Louis de Broglie.

    Dans une lettre ultérieure, Einstein revient sur sa "méthodologie", comme il dit, c'est-à-dire, en réalité, inséparablement sa démarche et son ‘style’. Malgré leur "commune conviction" qui les fait tous deux ‘hérétiques’, c'est-à-dire leur sentiment de l'insuffisance de la mécanique quantique, leurs ‘méthodologies’ sont en effet différentes. "Vue de l'extérieur", écrit Einstein, "ma méthodologie (…) semble assez bizarre. En effet, je dois ressembler à l'oiseau du désert, l'autruche, qui sans cesse cache sa tête dans le sable relativiste pour ne pas faire face aux méchants quanta". Einstein indique qu'il cherche aussi une "substructure", "nécessité que la théorie quantique actuelle cache habilement par l'application de la forme statistique". Mais, précise-t-il, "je suis convaincu qu'on ne pourra pas trouver cette substructure par une voie constructive en partant du comportement empirique des objets physiques". Le "refus de regarder les quanta en face", c'est, en fait, le refus de la voie ‘empiriste-constructiviste’; quant à la "sous-structure" qu'il cherche, elle est tout autre que celle de de Broglie et de Bohm (voir plus haut ce qu'il disait à ce dernier à propos des niveaux emboîtés de particules): c'est le soubassement architechtonique de la théorie. 

    Et c'est, en fait, par la voie de la recherche d'un principe purement formel, fondée "sur la conviction que les lois de la nature ont la plus grande simplicité logique imaginable", c'est-à-dire sur la recherche d'une "théorie du champ des quanta", qu'Einstein tente, pour sa part, d'aborder le problème quantique (comme nous le savons par ailleurs). Mais il convient qu'une telle théorie peut fort bien ne pas exister, et il admet que "dans ce cas mes efforts ne peuvent pas mener à la solution du problème de l'atomistique et des quanta, peut-être même pas nous rapprocher d'une solution". Les physiciens des quanta sont persuadés que tel est le cas: "Peut-être ont-ils raison sur ce point (…). Mais cette conviction négative est fondée sur une base seulement intuitive et non pas objective. Par ailleurs, je ne distingue aucune voie claire vers une théorie logiquement simple".

    A cette profession de foi et à cet aveu, Louis de Broglie répond en invoquant sa propre direction: la recherche d'"images spatio-temporelles précises du dualisme onde-corpuscule, permettant de justifier le succès des lois statistiques de la mécanique quantique". De Broglie exprime également à Einstein son accord avec ce que celui-ci lui a écrit sur sa méthode de la "simplicité logique", estimant, face aux difficultés rencontrées par lui-même et ses collaborateurs dans la recherche des bonnes équations non-linéaires, qu'elle seule probablement peut fournir une possibilité de progresser: "En accord avec vos idées", conclut-il sa lettre, "ce problème ne pourrait sans doute être résolu qu'en suivant une voie analogue à celle qui a conduit aux équations de la Relativité généralisée, c'est-à-dire en s'inspirant de l'idée de simplicité logique". 

    On voit bien, toutefois, par-delà une certaine concordance, la différence de démarche entre Einstein et de Broglie. Elle est présente dès le point de départ, dans la définition du but que chacun d'eux assigne à la théorie qu'il voudrait obtenir. Einstein estime la méthode "constructive" (c'est-à-dire, pour lui, empiriste) inadéquate et recherche un principe formel du genre d'un principe de relativité généralisé étendu, applicable à l'ensemble des lois physiques, car la solution ne peut désormais provenir que d'une plus grande unité. De Broglie recherche une solution dans le droit fil de l'intuition qui présidait déjà à ses premiers travaux, basée sur une image spatio-temporelle, celle d'un corpuscule lié à une onde, et posant en principe un déterminisme s'appliquant à ces concepts classiques. La ‘méthodologie’ qu'il met en oeuvre est celle de l'obtention, selon ses propres termes, "d'images spatio-temporelles précises du dualisme onde-corpuscule", ce qui le conduit à une diversité d'hypothèses possibles, dont le choix est "arbitraire", comme Einstein le remarquait. 

    Ce dernier, par contraste, tout en désirant maintenir le continuum spatio-temporel, ne parle jamais de sa représentation en termes d'images (il la voit très indirecte, à partir du champ pris comme concept premier), voulant précisément dépasser le dualisme et les concepts (classiques) qui l'expriment, trop empiriques, et n'imposant pas suffisamment de contraintes. L'idée de contrainte logiquement imposée par un principe formel est centrale dans sa pensée: ce principe fondamental, s'exprimant par des limitations sur les possibilités de choix des grandeurs physiques, est chargé d'exprimer les propriétés des systèmes et des phénomènes matériels dans ce qu'elles ont d'essentiel, et doit constituer la base même de la théorie. La physique théorique au sens d'Einstein, telle que l'exige la physique à l'état où elle est parvenue, est gouvernée par quelques principes fondateurs.

    Celle que de Broglie met en oeuvre est différente. On peut la caractériser comme la combinaison d'une théorie physique ‘phénoménologique’ (c'est-à-dire qui se propose une représentation théorique des faits empiriques en termes de modèles) et d'une ‘physique mathématique’ (qui exploite des aspects formels tels que des analogies d'expressions mathématiques). Sa démarche première demeure la recherche d'une représentation spatio-temporelle conçue comme "image intelligible [du] dualisme", et des principes du genre invoqué par Einstein (généraux et de formulation abstraite) seraient accueillis volontiers, mais au titre de régulation plutôt que de fondation.

    La différence entre les ‘styles de recherche’ d'Einstein et de de Broglie se manifeste également dans leurs attitudes respectives face au rapport entre la relativité et la physique quantique. Einstein maintient sa méthode (telle que nous avons tenté de la caractériser par ailleurs), qui est de considérer la théorie en fonction de son objet, et sa recherche de la généralisation du champ s'en tient à la considération du champ défini sur le continuum. S'il garde à l'esprit le problème des quanta, c'est comme une conséquence lointaine éventuelle: malgré ce but ultime, il ne mêle pas les deux théories - et c'est aussi parce que la théorie quantique lui semble insuffisante du point de vue de ses concepts et de ses principes fondamentaux. De Broglie, fidèle en cela à sa démarche initiale de 1923, continue de penser en même temps la théorie de la Relativité (restreinte, ce qui, pour Einstein serait de toute façon insuffisant) et la théorie quantique, les joignant dans un même modèle, qui ne peut être, malgré son apparence mathématique formelle, qu'une approche de nature phénoménologique.

    Pour conclure, indiquons qu'Einstein donnait lui-même par avance, de manière implicite il est vrai, la réponse à la question de sa position par rapport aux variables cachées, quelque temps avant que celles-ci ne connaissent un regain d'intérêt. Il déclarait, dans sa "Réponse aux critiques" de 1949, que, puisque la mécanique quantique ne peut pas raisonnablement prétendre décrire de façon complète les systèmes individuels ("raisonnablement", c'est-à-dire sans faire appel à des actions instantanées à distance), "il apparaît inévitable de chercher ailleurs une description complète du système individuel"; cela étant, il devrait être clair dès le commencement, écrivait-il, que "les éléments d'une telle description ne sont pas contenus dans le schéma conceptuel de la théorie quantique statistique"108. Les solutions en termes de variables cachées appartiennent clairement à ce schéma, qu'elles soient prises sous la forme simplifiée de la première théorie de David Bohm, ou plus raffinées, comme les approches ultérieures de Bohm, de de Broglie, de Vigier ou d'autres, et même si elles incluent des équations non-linéaires, dont Einstein soulignait la nécessité.

     

     

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    - et de Broglie, Louis 1979. "Correspondance", Annales de la Fondation Louis de Broglie 4, 1979 (n°1), 53-61. [Textes originaux de deux lettres d'Einstein avec leur traduction en français et de lettres de Louis de Broglie.]

    - 1989. Oeuvres choisies, vol. 1: Mécanique statistique et physique quantique (éd. par Françoise Balibar, Bruno Jech et Olivier Darrigol), 1989.

    - 1991. Oeuvres choisies, vol. 5: Science, éthique, philosophie (éd. par Jacques Merleau-Ponty et F. Balibar), 1991.

    Electrons et photons 1928. Electrons et photons. Rapports et discussions du cinquième Conseil de physique tenu à Bruxelles du 24 au 29 octobre 1927 sous les auspices de l'Institut international de physique Solvay, Gauthier-Villars, Paris, 1928.

    d'Espagnat, Bernard 1975. "On propositions and physical systems", Physical Review D 11, 1975, 1424-. Repris dans Leite Lopes, Paty 1977, p. 147-169.

    - 1976. Conceptual foudations of quantum mechanics, second ed., revised, Benjamin, Reading (Ma), 1976.

    Jammer, Max 1974. The philosophy of quantum mechanics. The interpretations of quantum mechanics in historical perspective, Wiley and sons, New York, 1974.

    Leite Lopes, José and Paty, Michel (eds.), Quantum mechanics, a half century later, Reidel, Dordrecht, 1977.

    Madelung, Erwin 1926. "Quantentheorie in hydrodynamischer Form", Zeitschrift für Physik 40, 1926, 322-326.

    Neumann, John von 1932. Mathematische Grundlagen der Quantenmechanik, Springer, Berlin, 1932. Trad. fr. par Alexandre Proca, Les fondements mathématiques de la mécanique quantique, Librairie Alcan et Presses Universitaires de France, Paris, 1947.

    Pais, Abraham 1982. Subtle is the Lord. The science and life of Albert Einstein, Oxford University Press, Oxford, 1982.

    Paty, Michel 1982. "L'inséparabilité quantique en perspective, ou: Popper, Einstein et le débat quantique aujourd'hui", Fundamenta Scientiae 3, 1982, 79-92. Egalement in Bouveresse, Renée (dir.), 1989. Karl Popper et la science d'aujourd'hui. Actes du Colloque de Cerisy, 1-11 juillet 1981, Aubier, Paris, 1989, p. 255-272

    - 1985. "Einstein et la complémentarité au sens de Bohr", Revue d'histoire des sciences 38,1985 (n° 3-4), 325-35l.

    - 1986 a. "Einstein and Spinoza", in Marjorie Grene and Debra Nails (eds), Spinoza and the sciences , Reidel, Dordrecht, 1986, p. 267-302. [Pour l'original en français, voir: "La doctrine du parallélisme de Spinoza et le programme épistémologique d'Einstein, Cahiers Spinoza , ed. Réplique, Paris, n° 5, hiver 1984-1985, 93-108; et "Einstein et Spinoza", in Bouveresse, Renée (dir.), Spinoza, science et religion, Institut interdisciplinaire d'études épistémologiques, Lyon, et Vrin, Paris, 1988, p. 183-207.]

    - 1986 b. "La non-séparabilité locale et l'objet de la théorie physique", Fundamenta Scientiae 7, 1986, 47-87.

    - 1988 a. La matière dérobée. L'appropriation critique de l'objet de la physique contemporaine, Archives contemporaines, Paris, 1988.

    - 1988 b. "Sur la notion de complétude d'une théorie physique", in Fleury, Norbert; Joffily, Sergio; Martins Simões, J.A. et Troper, A. (eds), Leite Lopes Feschrift. A pioneer physicist in the third world, World Scientific Publishers, Singapore, 1988, p. 143-164.

    - 1988 c. "Sur le style de recherche de Louis de Broglie", in Louis de Broglie tel que nous l'avons connu, Fondation Louis de Broglie, CNAM, Paris, 1988, p. 163-166.

    - 1993 a. Einstein philosophe. La physqiue comme pratique philosophique, P.U.F., Paris, 1993.

    - 1993 b. La pensée physique d'Einstein et les quanta (à paraître).

    Pauli, Wolfgang 1953. "Remarques sur le problème des paramètres cachés dans la mécanique quantique et sur la théorie de l'onde-pilote", in de Broglie 1953, p. 33-42.

    Schilpp, Paul Arthur (ed.) 1949. Albert Einstein, philosopher-scientist, The library of living philosophers, Open Court, La Salle (Ill.), 1949. Ré-ed., Ibid. et Cambrige University Press, London. [3è edition, 1970].

    Stachel, John 1986. "Einstein and the quantum: fifty years of struggle", in Colodny, Robert (ed.), From quarks to quasars, University of Pittsburg Press, Pittsburg, 1986.

    Wheeler, John A. and Zurek, Wojcieh H. (eds.) 1983. Quantum theory of measurement, Princeton University Press, Princeton, 1983.


     


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  • Les origines de la culture 3-2) "Une théorie sur laquelle travailler": le mécanisme mimétique partie2

     

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture" dont c'est ici l'article 3-1)

    wikipedia.org -René Girard

     
     

     

     

     

     

     

     

    Les livres de René Girard: 

     

     

     

    amazon.fr -Les-origines de la culture (Entretiens-Pierpaolo) (2006)

     

    Mes articles sur "les origines de la culture": 

     

    Les origines de la culture 2) Introduction: "une longue argumentation du début à la fin"


    Les origines de la culture 3-1)"Une théorie sur laquelle travailler": le mécanisme mimétique partie 1
     Voici maintenant l'article Les origines de la culture 3-2 "Une théorie sur laquelle travailler": le mécanisme mimétique.

    Exergue: "J'avais enfin trouvé une théorie sur laquelle travailler". Charles Darwin autobiographie.

    Dans l'article 2 nous avons vu comment João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture": "cet essai tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant, "une seule et longue argumentationpour reprendre les mots de Charles Darwin.   Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin. 

    Après cette introduction, nous commencerons la lecture du livre de René Girard par le chapitre "Une théorie sur laquelle travailler: le mécanisme mimétique". 

    Je résume et donne ici ma lecture des questions posées à René Girard (en caractères gras) et de ses réponses. Et dans l'article 3-1 ("Une théorie sur laquelle travailler"), nous avons commencé à analyser le mécanisme mimétique en tant que fondement de l'ordre social et de la culture, ce qui nous a fait aboutir au mythe de Prométhée. Poursuivons cette démarche.


    1) La méconnaissance.

       

    manuelantoine.blogspot.fr -Œdipe girardien ,Œdipe freudien et la méconnaissance

     

     

     a) "Pour souligner la continuité structurelle des phénomènes sociaux dont nous venons de parler [...], nous pouvons dire que, de même que le désir mimétique n'est pas une invention moderne, le mécanisme du bouc émissaire ne se retrouve pas seulement dans les rituels primitifs ou les socités anciennes; il est aussi présent dans notre monde moderne.

    Le désir mimétique, qui semble fermement attaché à l'objet qu'il est décidé à se procurer et à aucun autre, se montre en réalité vite opportuniste et se fixe alors sur ce qu'il trouve. Les gens qu'il tourmente se focalisent paradoxalement sur des modèles et des adversaires de substitution. Il y a un déplacement de ce type dans l'âge des scandales que nous vivons et qui s'aggrave. Tout grand scandale collectif vient d'un skandalon entre les deux "prochains" bibliques, plusieurs fois multiplié. Il faut rappeler que dans les Êvangilesskandalon signifie rivalité mimétique. Ce scandalon, ambition vide, antagonisme, agressivité réciproque et les mauvais sentiments que chacun ressent envers l'autre vient de la simple raison que nos désirs se trouvent souvent frustrés. Avec les possibilités de la technologie moderne d'internet et de la télévision, ce scandalon à petite échelle a tendance à devenir opportuniste et rejoint le vaste scandale des médias, se confortant dans le fait que que l'indignation individuelle est partagée par beaucoup de monde. La mimésis, au lieu d'aller seulement dans la direction de notre propre voisin, notre prochain, notre rival mimétique personnel, dévie latéralement et s'amplifie au point de créer les symptômes d'une crise grandissante, d'une contagion croissante, souvent exponentiellement. Le plus grand scandale engloutit les plus petits jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul scandale et une seule victime. Et c'est à ce moment que le mécanisme du bouc émissaire refait surface. "L'animosité de chacun vis à vis des autres, à cause de la taille toujours plus grande des groupes en état de rivalité mimétique devient de plus en plus grande et elle culmine en un énorme retentissement contre un élément pris au hasard dans la société". Depuis plus d'un siècle, les exemples ne manquent pas, le capitaine Dreyfus à la fin du 19èmè siècle; les Juifs sous le nazisme en Allemagne, les émigrants d'Afrique en Europe, les musulmans lors d'événements terroristes...Le phénomène de rivalité mimétique aboutissant à à désigner et choisir un bouc émissaire a même tendance à s'amplifier et semble se généraliser. Partons d'un exemple littéraire avec le Jules César acte II sc. 1 de Shakespeare qui décrit le recrutement mimétique des conspirateurs. L'un d'eux, Ligarius, est devenu fou, il dit n'importe quoi. Il oublie tout le reste, parce qu'il a maintenant un seul point fixe vers lequel diriger sa haine (voir Le Pro Q. Ligario Oratio de Cicéron en Latin). Quel progrès! Ne retrouve t-on pas ce que la politique devient de plus en plus? "L'esprit partisan" n'est en fait rien d'autre que le fait de choisir le même bouc émissaire que ses voisins. Et cet état d'esprit a tendance à se généraliser à tous les domaines, aux médias et au spectacle... Les affaires récentes traduisent ce phénomènes et aboutissent au sacrifice et à une certaine mise à mort des victimes pour des raisons apparemment justifiées comme pour l'affaire Strauss Kahn. Cependant, à cause de la Révélation Chrétienne de l'innocence fondamentale des victimes et de  l'arbitraire de l'accusation lancée contre elles, la polarisation de la haine est dévoilée et la résolution d'unanimité échoue, mais les dégâts restent considérables et climat de suspicion voire de haine est auto-entretenu par les moyens modernes médiatiques et la puissance d'internet. 

    En résumé, avant l'arrivée du judaïsme et du christianisme, le mécanisme du bouc émissaire était accepté et légitimé d'une manière ou d'une autre, du seul fait qu'il était inconnu. Il réussissait à ramener la paix dans la communauté alors qu'on se débattait en plein chaos mimétique. Toutes les religions archaïques fondent leurs rituels sur justement sur la réitération du meurtre fondateur. Cela veut dire qu'elles considèrent le bouc émissaire comme responsable de cette crise. Le christianisme, au contraire, par la figure de Jésus, dénonce le mécanisme du bouc émissaire: c'est le meurtre d'une victime innocente, tuée afin de ramener à la paix une communauté violente. Le mécanisme du bouc émissaire est pleinement révélé. Mais on voit qu'il subsite tout de même et fait toujours des ravages considérables. 
      
    liens: evangile-partage.over-blog.net -partage de l'évangile au quotidien (blog de claude tresmontant)
    res-systemica.org -Généalogie de la violence Essai d'interprétation systémique à partir de l'œuvre de René Girard
    laposso.philo.free.fr -Le désir de platon à deleuze en passant par spinoza

     

        

    dame-licorne.pagesperso-orange.fr -La passion du Christ

     b)  Ceci nous ramène à la méconnaissance (concept central de la théorie mimétique de rené Girard): "Le processus sacrificiel demande un certain degré de méconnaissance". Si le mécanisme du bouc émissaire doit amener la cohésion sociale, alors l'innocence de la victime doit être cachée d'une façon qui permette à la communauté toute entière d'être unie dans la croyance que la victime est coupable. Comme on vient de le voir, dès que les acteurs du processus en comprennent le mécanisme, savent comment il fonctionne, celui-ci s'effondre et ne peut plus réconcilier la communauté.  Henri Atlan reproche à René Girard de présenter cette proposition fondamentale non comme un problème mais comme une évidence.

     

    Il faut certainement insister plus sur le caractère inconscient du désir mimétique. Prenons le cas par exemple, de l'affaire Dreyfus. Imaginons un français de 1894 qui pense fermement que Dreyfus est coupable, en même temps qu'il a des inquiétudes sur l'armée et les allemands. Mais si soudain ce français est convaincu que Dreyfus est innocent, son confort d'esprit, la juste colère qu'il tire de la culpabilité de Dreyfus, ne pourront alors plus se perpétuer, ils vont être détruits. Ce n'est pas la même chose d'être contre Dreyfus ou d'être pour lui. c'est ce problème de conscience que Atlan ne voit pas bien dans la pensée de Girard. De même certains critiques on dit que s'il avait une religion du bouc émissaire, ce ne pouvait être que le christianisme, puisque les évangiles parlent explicitement de ce phénomène. Mais c'est justement parce que Jésus est représenté comme un bouc émissaire que le christianisme, en tant que religion, ne peut être fondé sur le processus du bouc émissaire  et qu'il est au contraire, la dénonciation. La raison devrait être évidente: si on pense que le bouc émissaire est coupable, on ne va surtout pas l'appeler bouc émissaire. Si la France a choisi Dreyfus comme bouc émissaire, personne ne reconnaîtra dans cette affaire le rôle qu'elle fait jouer à Dreyfus et tout le monde se contentera de dire: "DREYFUS  EST COUPABLE!". Mais dès qu'on reconnaîtra l'innocence de la victime, on ne plus user de violence envers elle et le christianisme est justement une façon de dire de façon explicite que la victime (jésus) est innocente. On voit le rôle clé de la méconnaissance dans le processus du bouc émissaire, même s'il est paradoxal. Elle permet à chacun de garder l'illusion que que la victime est réellement coupable et par là même mérite d'être punie. Pour avoir un bouc émissaire, il faut ne pas voir la vérité, et donc ne pas se représenter la victime comme un bouc émissaire, mais comme un homme justement condamné. C'est ce que fait la mythologie avec par exemple, le patricide et l'inceste d'oedipe, censés être réels. Finalement, avoir un bouc émissaire, c'est donc ne pas savoir qu'on l'a.


         

    iicgrenoble.esteri.it -PROCES A JULES CESAR

     c) Dans le Jules César de Shakespeare, il y a ce discours de Brutus dans lequel ce principe est deux fois formulé dans: "Soyons des sacrificateurs, pas des bouchers, Caïus", "[...] L'homme du commun verra dans notre geste une purge, non un meurtre.." Comment l'analysez-vous?
    Pour René Girard, Brutus exalte la différence entre la violence légitime du sacrifice et la violence illégitime de la guerre civile. Mais comment se rendre crédibles comme sacrificateurs lui et ses compagnons
    ? Pour faire bien ce qu'il fait il doit soutenir qu'il ne s'agit pas d'un meurtre. ce qui démasque la méconnaissance indispensable au meurtre du bouc émissaire. Shakespeare montre dans ce texte étonnamment perspicace une compréhension du sacrifice bien supérieure à celle de l'anthropologie moderne. 

     


         d) Pourquoi avez-vous opté pour le terme de "méconnaissance" plutôt que pour le mot "d'inconscience?"

    Pour René Girard, le mot d'inconscient "entraîne tout le fatras freudien". "J'utilise le terme méconnaissance parce qu'il est absolument certain que le mécanisme du bouc émissaire méconnaît sa propre injustice sans ignorer pourtant qu'il est meurtre."  La nature inconsciente (même si ce n'est pas le terme utilisé de la violence sacrificielle est bien révélée dans les textes du nouveau testament, en particulier dans Luc (Lc 23,34): "Père, pardonne leur: ils ne savent pas ce qu'ils font", phrase qu'il faut prendre au pied de la lettre. De même, dans les Actes des ApôtresPierre, s'adressant à la foule qui a participé à la crucifixion, lui dit: "Et maintenant, frères, je sais que vous avez agi par ignorance, ainsi que vos chefs." (Ac 3,17). Pour les anciens grecs, le mot ignorance signifie vraiment "ne pas savoir", qu'on pourrait traduire aujourd'hui par inconscient. Il y a un manque de conscience dans le processus du bouc émissaire, et ce manque de conscience est aussi essentiel que l'inconscient chez Freud, mais il ne s'agit pas de la même chose. c'est un phénomène plus collectif qu'individuel.

    René Girard critique le concept de l'inconscient chez Freud parce qu'il est hostile à l'idée d'un appareil psychique identifiable. La notion d'inconscience est indispensable, mais celle de l'inconscient qui serait comme une "boite noire" s'est révélée trompeuse et il refuse d'enfermer cette notion dans un inconscient qui ait sa vie propre, dans le style de Freud. 

     

    liens: wikipedia.org -Inconscient
    pourlascience.fr -La puissance de l'inconscient
    psychiatriinfirmiere.free.fr -CONSCIENT / INCONSCIENT / PRÉCONSCIENT / SUBCONSCIENT
    causefreudienne.net -L'inconscient freudien
    philolog.fr -Freud ou l'hypothèse de l'inconscient psychique
    lionel.mesnard.free.fr -L'inconscient humain et Sigmund Freud
    philocours.com -L'INCONSCIENT : "le moi n'est pas le maître dans sa maison"

     

    2) La mimésis culturelle et le rôle de l'objet.

         a) Après cette explication générale du désir mimétique, revenons au rôle de l'objet dans la théorie. Vous avez dit que, dès qu'un appétit devient un désir, qui est une construction entièrement sociale, il est contaminé par le modèle. Pourtant dans la théorie du désir mimétique, il semble qu'il y ait peu de place pour les besoins fondamentaux.

    talent.paperblog.fr -crime et châtiment; de goya à picasso

    Appétit n'implique pas imitation. On n'imite personne si on besoin de respirer quand on étouffe ou si on marche dans un désert à la recherche d'eau, c'est physiologique. Mais dans notre monde tous les modèles sociaux et culturels proclament ce qui est "à la mode" en matière de nourriture ou de boisson. Tous nos appétits sont infléchis par des modèles que nous suivons mimétiquement et paradoxalement ils nous donnent ils nous donnent l'impression d'être nous-mêmes et personne d'autre. Mais quand la société devient cruelle,  et sauvage, la violence peut prendre sa source dans le besoin pur et on ne peut pas exclure la possibilité d'une violence étrangère au désir mimétique, là où le nécessaire fait défaut. Cependant, même pour les besoins de base, quand une rivalité se met en place à propos d'un objet, elle se charge de mimésis et une certaine médiation sociale entre toujours en jeu. On peut penser, comme jusqu'à une période récente le pensaient  les marxistes, que le désir mimétique apparaît seulement dans les classes aisées, comme un luxe ou un passe-temps aristocratique. C'est un luxe, que seuls les nobles tels l'Hidalgo Don Quichotte, pouvaient se permettre avant le monde moderne. Il est évident que dans un monde de la rareté, les classes inférieures ont surtout des besoins et des appétits.  Mais force est de constater qu'avec internet, la puissance des médias et le développement gigantesque des marchés financiers et de la publicité, le désir mimétique devient dominant dans notre société, même pour les besoins fondamentaux et les appétits. Il n'en reste pas moins que les foyers de misère extrême subsistent et qu'il peut fleurir chez les êtres "doués" pour le mimétisme comme le montre par exemple le snobisme de l'épouse Marmeladov dans Crime et châtiment de Dostoïevski.

    liens: un-idiot-attentif.blogspot.fr -Dostoïevski sonde les coeurs
    alexandrie.org -CRITIQUE LITTÉRAIRE Fedor Dostoïevski - Crime et Châtiment 

         b) "C'est pour cela que vous n'êtes pas d'accord avec la lecture que Lucien Scubla fait de votre travail quand il écrit que "la rivalité mimétique est la seule source de la violence". "
    Pour Scubla, "
    Rien ne paraît plus resserré que le système girardien, à moins que ce ne soit qu’un emboîtement d’hypothèses. Lucien Scubla en ramène l’axiomatique à quatre propositions : 1) le désir humain est toujours mimétique ; 2) la rivalité mimétique est l’unique source de la violence humaine (ce que Girard n’avalise pas) ; 3) seule la religion (sacrifice ou renoncement au sacrifice) peut contenir la violence."  La formule de Scubla dévalue trop les appétits et les besoins objectifs. En effet, ils peuvent déclencher des conflits et aboutir à la violence, et une fois qu'ils ont commencé ils peuvent se pénétrer de mimétisme. De nos jours, les gens se proccupent de la généralisation des "actes de violence" qui frappe au hasard, des vols, des agressions ou des viols dans nos sociétés d'abondance  Cette violence est détachée de tout contexte relationnel, elle n'a donc ni antécédent, ni suite. Pourtant les rapports de spécialistes montrent que les agressions commises au hasard ne constituent pas la principale cause de violence dans le monde. comme le montrent les rapports de l'OMS cf Report on Violence and Health où on s'aperçoit que la moitié des morts violentes sont causées par le suicide et que la majorité des homicides sont commis au sein de la famille, donc parmi des gens qui se connaissent, et même depuis longtemps. Seulement 1/5èmè des morts violentes proviennent chaque année de la guerre. Donc, l'histoire de la violence est bien principalement mimétique comme dans le cas de la violence domestique. Mais il n'en reste pas moins que la violence gratuite existe et agresser quelqu'un dans la rue n'est pas un acte directement mimétique puisqu'il n'existe pas de relation mimétique directe entre la victime et l'agresseur. Cependant, derrière cette attaque fortuite, du point de vue de la victime, il doit y avoir des rapports mimétiques dans l'histoire naturelle de l'agresseur, ou dans sa relation à la société en général, qui demeurent invisibles, mais qui peuvent être repérés. La situation est donc plus complexe qu'il n'y paraît.
    liens: 1libertaire.free.fr -lucien scubla: entretien sur rené girard
    lucadeparis.free.fr -Mécanisme victimaire, théorie des catastrophes et carré sémiotique
    journaldumauss.net -Enjeux pour une théorie de la religion au-delà du mirage girardien.
    who.int -World report on violence and health: summary 2002
    whqlibdoc.who.int -Rapport mondial sur la violence et la sante

         c) Nous devons aussi insister sur le fait que la mimésis n'a pas seulement des effets perturbateurs, comme on le voit avec la mimésis d'appropriation. Elle est aussi à l'origine de la transmission culturelle. 
     

    profondeurdechamps.com -Satan : un « bouc émissaire » ?

    René Girard répond: "j'ai conçu les mécanismes mimétiques à travers l'analyse de romans, dans lesquels la représentation des rapports conflictuels est essentiels. La "mauvaise mimésis" est donc toujours dominante dans mon travail. Mais dans les rapports entre être réels, c'est bien sûr, la "bonne" mimésis qui domine. Sans elle, pas de transmission transmission culturelle, pas de rapports paisibles." Mais parler de mimésis positive ne signifie pas forcément qu'on a compris le phénomène. Richard Dawkins qui insiste dans sa théorie (avec la notion de même, unité minimale de la transmission culturelle) sur la mimésis positive n'a aucune conscience de la crise mimétique, du bouc émissaire et autres articulations de la théorie mimétique (voir "le gène égoïste"). 

     

    Cela veut dire que l'institutionnalisation des études littéraires contribue à dissimuler le mécanisme du désir mimétique. C'est ce qu'affirme Sandor Goodheart dans Sacrificing Commentary: Reading the end of Litterature. Selon lui, la vraie fonction de la critique est de ramener la littérature à expression moyenne acceptable, plutôt que d'affronter le gouffre entre la vision d'un grand écrivain et la vision commune en la ramenant à un individualisme conventionnel, ce qui permet de masquer le désir mimétique. Ainsi, la critique devrait aider à dévoiler la nature mimétique du désir, plutôt que de la cacher.


         d) Revenons maintenant à la définition de la mimésis: votre approche ne gagnerait-elle pas en clarté si nous établissions une distinction entre "mimésis culturelle" et "mimésis d'appropriation?"
    La réponse est non. Ce qui donne cette impression, c'est que la mimésis culturelle, dans la majorité des cas, n'entraîne pas de rivalité, mais elle est malgré tout une mimésis d'appropriation. Si j'imite vos manières, si je lis les mêmes livres que vous, il n'en résultera aucune tension rivalitaire entre nous, ce sont là des sentiments partageables. Vous pourrez même vous sentir flatté d'être pris pour modèle. Mais la mimésis culturelle peut devenir source de rivalité si par exemple l'auteur d'une découverte scientifique non encore publiée la communique à un admirateur et que celui-ci la présente ensuite comme sa découverte à lui. Il y aura certainement attaque en justice.
    On a vu que l'objet a souvent pour fonction de déclencher la mimésis d'appropriation. Pourtant, il a un rôle fondamental à jouer dans la "mimésis culturelle paisible". Dans "l'hypothèse de la chasse comme facteur d'hominisation", des groupes sociaux, tant animaux qu'humains naissent de la "coopération lors de la chasse et de la distribution de la viande(voir Walter Burkert  in "Violent Origins. Ritual killing and Cultural Formation"). Mais il ne faut pas oublier que ce "bon" objet est tué. La chasse a toujours une dimension sacrificielle en plus de sa dimension sociale, qui n'est pas créée par le seul besoin de gibier. De même que la religion n'est pas seulement engendrée par la peur et l'admiration qu'inspirent les animaux sauvages. Toute forme de coopération complexe s'établit sur une sorte d'ordre culturel, qui est lui-même fondé sur le mécanisme victimaire. C'est là l'hypothèse girardienne sur l'origine de la culture. Et le peu que l'on connaît des chasseurs de la préhistoire et de leur univers suggère une organisation culturelle complexe.
    liens: 
    l.salvador.free.fr -Mécanisme victimaire et hominisation 

         e) Vous dévoilez la dimension d'appropriation de la mimésis et expliquez le rôle fondamental de l'objet concret  dans la production de cette perturbation, cependant, comme l'ont affirmé Jean-Pierre Dupuy  et Paul Dumouchel, l'objet de la société de consommation n'est pas exclusivement définissable dans le contexte de la mimésis d'appropriation. Il produit des formes de contrôle de cette explosion que représente la rivalité mimétique.

    L'interprétation que Jean-Pierre Dupuy  et Paul Dumouchel donnent de notre société est juste quoique un peu trop optimiste. Selon eux, la société de consommation constitue une façon de désamorcer la rivalité mimétique et de réduire sa puissance conflictuelle en s'arrangeant pour que les mêmes objets, les mêmes marchandises soient accessibles à tout le monde. C'est réduire les occasions de conflit entre individus. Mais à un moment donné, les individus finissent par se désintéresser de ces objets trop identiques et accessibles. Quelque soit le temps nécessaire, cette "usure" se produit. Parce qu'elle rend les objets trop faciles  à acquérir, la société de consommation travaille à sa propre destruction. "Comme tout mécanisme sacrificiel, notre société a besoin de se réinventer de temps à autre. Pour survivre, elle doit inventer des gadgets toujours nouveaux. Et la société de marché engloutit les ressources de la terre, un peu comme les aztèques qui tuaient toujours plus de victimes. Tout remède sacrificiel perd son efficacité avec le temps.
    Dans "Mimésis et morphogenèse", Jean-Pierre Dupuy affirme que "l'objet est une véritable création du désir mimétique, c'est la composition des codéterminations mimétiques qui le fait jaillir du néant: ni création d'une pure liberté, ni point focal de d'un déterminisme aveugle.".René Girard pense que c'est aller trop loin car si c'était vrai, nous ne percevions que les objets que nous désirons. Or ce n'est pas vrai. Le monde est plein d'objets qui nous encombrent et nous ennuient. Il est fréquent qu'on achète les objets d'une main et qu'on les jette de l'autre. Là aussi une "usure " se produit. Nous sommes ainsi arrivés dans un monde où le problème n'est plus de d'avoir l'objet, mais de le changer. La société de consommation est devenue un système d'échange de signes au lieu d'un échange d'objets réels. Le monde dans lequel la consommation était un signe de richesse a maintenant perdu son attrait. Pour avoir l'air vraiment "cool" il faut apparaître subversif et "émacié", comme le dit Thomas Frank (The Conquest of Cool). Mais on revient au point de départ, car tout le monde a recours aux mêmes ficelles, et une fois encore, nous nous ressemblons tous. La société de consommation, à son extrême, devient en quelque sorte une mystique, elle nous procure des objets dont nous savons d'avance qu'ils ne peuvent pas satisfaire nos désirs. Elle peut nous conduire aux activités inutiles mais elle finit par nous faire prendre conscience de notre besoin de quelque chose d'entièrement différent, besoin de ce qu'elle ne sera jamais capable de fournir. Sans doute est-ce le sacré qui a quasiment disparu devant le matérialisme de la surconsommation?
    En même temps, il nous faut noter que l'augmentation de la médiation interne n'induit pas forcément une crise mimétique dans la société contemporaine qui se montre capable d'absorber de fortes doses d'infférenciation. quand on voit comment cela s'est passé dans les sociétés primitives, peut-on croire qu'une victime émissaire permettrait la reconstitution d'un monde vivable? Le cadavre de la victime permet-il de ramener les doubles au niveau précédent de différenciation? Le réponse de René Girard est non, "ce n'est pas possible. Il faut distinguer nos sociétés des sociétés primitives. Le monde moderne peut se définir comme une série de crises mimétiques toujours plus intenses, mais qui ne sont plus susceptibles d'être résolues par le mécanisme du bouc émissaire. Nous allons voir pourquoi dans le prochain article qui va s'intituler "Le scandale du christianisme".
    liens: 
    clerse.univ-lille1.fr -Développement durable et contreproductivité : un regard Illichien vers une RSE de seconde génération

     

    Le mécanisme mimétique et la victime émissaire

     

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