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    Les origines de la culture 3-1) "Une théorie sur laquelle 


    travailler": le mécanisme mimétique

     

     

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture" dont c'est ici l'article 3-1)

    wikipedia.org -René Girard

     
     

     

     

     

     

     

     

    Les livres de René Girard: 

     

     

     

    amazon.fr -Les-origines de la culture (Entretiens-Pierpaolo) (2006)

     

    Mes articles sur "les origines de la culture": 

     

    Les origines de la culture 2) Introduction: "une longue argumentation du début à la fin"



     Voici maintenant l'article Les origines de la culture 3) "Une théorie sur laquelle travailler": le mécanisme mimétique.

    Exergue: "J'avais enfin trouvé une théorie sur laquelle travailler". Charles Darwin autobiographie.

    Dans l'article 2 nous avons vu comment João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture": "cet essai tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant, "une seule et longue argumentationpour reprendre les mots de Charles Darwin.   Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin. 

    Après cette introduction, nous commencerons la lecture du livre de René Girard par le chapitre "Une théorie sur laquelle travailler: le mécanisme mimétique". 

    Je résume et donne ici ma lecture des questions posées à René Girard (en caractères gras) et de ses réponses. 

     

    1) Le fonctionnement du mécanisme mimétique.

     

    René girard: la conception du désir

     

     

     

     

     

    a) Désir mimétique et mécanisme mimétique.

    L'expression "mécanisme mimétique" désigne tout le processus qui commence par le désir mimétique, continue par la rivalité mimétique, s'exaspère en crise mimétique ou sacrificielle et et finit par la résolution dans le phénomène du bouc émissaire. 

    Commençons donc par le désir mimétique. D'abord, où commence le désir? L'appétit pour la nourriture ou le sexe n'est pas encore le désir, mais une "affaire biologique" qui devient désir par l'imitation d'un modèle dont la présence est un élément décisif. Le désir devient mimétique, donc imitatif, lorsque le sujet désire l'objet désiré par son modèle. Dans le cas où le sujet évolue dans un monde différent de son modèle, il ne peut posséder l'objet de son modèle et n'établir avec ce dernier qu'une "médiation externe".  Par exemple, si son acteur préféré, devenu son modèle, et moi-même, vivons dans des milieux différents, le conflit direct entre lui et moi est impossible et cette "médiation externe" ne suscite pas de conflit. En revanche, si le sujet vit dans le même milieu que son modèle (qui est alors son prochain"), alors les objets de son modèle lui sont accessibles. Par conséquent, la rivalité surgit. Ce type de relation mimétique est appelée par René Girard "médiation interne". Celle-ci se renforce alors constamment et engendre toujours plus de symétrie à cause de la proximité psychique et physique du sujet et du modèle, le sujet tendant à imiter autant que son modèle l'imite, lui. On évolue vers toujours plus de réciprocité, et donc plus de conflit, ce que René Girard appelle le rapport des "doubles". L'objet disparaît derrière la seule obsession des rivaux qui consiste alors à vaincre l'adversaire plutôt qu'à acquérir l'objet qui devient superflu, simple prétexte à l'exaspération du conflit. La crise mimétique, crise des doubles, surgit quand les rôles du sujet et du modèle se réduisent à cette rivalité. C'est la disparition de l'objet qui la rend possible et finalement elle s'exaspère et se répand contagieusement aux alentours. 

    b) Cette hypothèse ne contredit-t-elle pas la conception moderne du désir, expression authentique du moi, si le désir n'est pas quelque chose qui "appartient" à l'individu et s'il s'agit d'une convergence des appétits et des intérêts dont le "vecteur" est donné par le modèle?

    René Girard répond que le monde moderne est archi individualiste et on voudrait que que le désir soit unique et strictement individuel. L'attachement à l'objet du désir serait ainsi prédéterminé. Mais, s'il en est ainsi, je devrais désirer toujours les mêmes choses! Il n'y a pas grande différence entre un désir ainsi figé et les instincts. Pour que le désir soit en relation avec les appétits et les instincts d'un côté, et le milieu social de l'autre, il faut une bonne dose d'imitation. Seul le désir mimétique peut être libre, vraiment humain, parce qu'il choisit le modèle plus que l'objet; il nous rend humains en nous permettant d'échapper aux appétits routiniers et animaux et de construire notre propre identité. C'est cette nature mimétique du désir qui nous rend capable d'adaptation et donne à l'homme la possibilité d'apprendre ce qu'il a besoin de savoir pour participer à sa propre culture. En fait, il n'invente pas celle-ci, il la copie. 

    c) "Dans le cas de l'autisme (diminution de l'activité relationnelle), il est maintenant compris que l'imitation est le mécanisme par lequel l'enfant peut connaître quelque chose des sentiments de l'autre, elle fait le premier pont entre soi et l'autre. L'aptitude des bébés à faire le rapprochement entre le comportement de leurs proches et les effets induits par le fait de les imiter est fondamentale pour le développement ultérieur de l'intersubjectivité, de la communication et de la cognition sociale. Ne pas pouvoir imiter est le signe d'un grave déficit culturel." 

    La nature mimétique du désir pourrait bien nous échapper parce que nous nous reportons peu aux premiers stades du développement humain. Imitation et apprentissage sont indissociables. Paul Ricœur comparait la personne présentant un comportement mimétique à un enfant qui joue voulant dire que dans l'imitation il y a toujours un certain degré d'inconscience. La plupart de théories, dont celle de Jean Piaget, ont réduit ces comportements aux premiers stades du développement psychologique de l'individu, en les appliquant rarement à l'âge adulte. Nous ne nous résignons pas à reconnaître ceux que nous admirons lorsque nous les imitons, nous voyons là quelque chose de honteux. Pour Platon, dans "La République", l'image du miroir apparaît comme l'un des signes de la crise mimétique: il annonce l'apparition des doubles (dans la République, il décrit l'imitation libre comme comme une véritable crise des doubles: III, 395e-396b. Platon redoute la mimésis et pressent le danger de conflit derrière certaines pratiques imitatives non seulement dans l'art, danger qui peut surgir à tout instant dès que plusieurs hommes sont ensemble. Jacques Derrida, dans "la dissémination" remarque que dans "la République", Platon dit que Homère est condamné parce qu'il pratique la mimésis (la diégèse mimétique, non simple) tandis que "l'autre père, Parménide est condamné parce qu'il ignore la mimésis. S'il faut lever la main contre lui, c'est parce que son logos, la thèse paternelle, interdisait (de rendre compte) de la prolifération des doubles ("idoles, icones, mimèmes, phantasmes")..."

    d) pourquoi avoir choisi le mot mimétisme plutôt que celui d'imitation?

    Il y a moins de conscience dans le mimétisme et plus dans imitation. Il ne faut pas, comme l'a fait le 20ème siècle, définir toute imitation comme désir  C'est ce qu'a fait Freud, qui voyant des enfants imiter leurs parents, s'imagine que même les touts petits désirent la même chose que leurs parents. 

     

     

     

     

     

    Dans Au-delà du principe de plaisirle mot imitation est omniprésent, pourtant le concept n'y joue aucun rôle. Pour Girard, si freud a tendance à éluder le concept d'imitation, c'est que celui-ci, amputé de sa puissance conflictuelle, paraît "simpliste" et déçoit l'appétit actuel (très mimétique) de "complexité". Cette attitude de refus de débattre du concept d'imitation est encore dominante dans notre culture. Par exemple, Régis Debré, dans "le feu sacré", consacre 15 pages qui se voudraient féroces contre René Girard, mais sans accéder à la notion de rivalité mimétique. Il rattache Girard à Tarde et à la tradition d'imitation qui sévit depuis Aristote. 
    d) Depuis quelques années, l'imitation commence tout de même à intéresser les science cognitives et la neurologie. Les psychologues du comportement affirment que les nouveaux-nés imitent, d'une façon qui ne peut être expliquée ni par le conditionnement, ni par la mise en place de comportements innés (voir A Meltzof). Par ailleurs, les neurologues ont découvert les "neurones miroir". 

    On s'aperçoit que l'acquisition et l'appropriation sont rarement perçus comme des comportements qui peuvent être imités. Les théories de l'imitation ne parlent jamais de la mimésis d'appropriation ou de la rivalité mimétique. C'est pourtant le point important selon la perspective de René Girard. Pour le rendre évident, on peut penser aux relations et interactions des enfants; ils ont une relation  de médiation externe  d'imitation positive, avec les adultes et une relation de médiation interne, donc de rivalité avec les autres enfants. C'est Saint Augustin qui, le premier a défini ce type de rivalité dans les confessions où il décrit deux bébés qui ont la même nourrice. Alors qu'il y a suffisamment de lait pour les deux, ils tentent chacun d'obtenir tout le lait, pour empêcher l'autre d'un avoir.:"« J’ai vu de mes yeux, dit Saint Augustin, et bien observé un tout-petit en proie à la jalousie : il ne parlait pas encore et il ne pouvait sans pâlir arrêter son regard au spectacle amer de son frère de lait » (les confessions I VII: voir le texte de Lacan au chapitre I 2,Le complexe de l’intrusion). Cet exemple contient sans doute une part de mythe (les nourrissons sont-t-ils capables de concevoir une pénurie possible), mais il symbolise très bien la rôle de la rivalité mimétique, non seulement chez les enfants, mais dans l'humanité en général. 

     

     

    2) La rivalité mimétique et les mythes de l'origine.

    a) Bien que la mobilité du désir soit un trait qui caractérise l'émergence de l'individu moderne dans l'histoire, processus qui s'est accéléré depuis la Renaissance, vous affirmez que désir mimétique n'est pas une invention moderne.

     

     

    Triptolème recevant de Déméter et sa fille Perséphone

    Dans les temps modernes, l'éventail des modèles parmi lesquels se fait le choix est beaucoup plus large que par le passé. Les différences de classe et de caste s'aplanissent et même s'il y a entre les hommes de grandes différences de pouvoir d'achat, les gens appartenant au plus bas niveau social désirent ce qu'on les gens du plus niveau. Ils pensent qu'ils devraient posséder ces mêmes choses. Les plus riches achètent la plupart du temps la même chose que les plus pauvres (par les médias on sait que le président ou les stars boivent du coca-cola et on peut en boire aussi). Les gens sont harcelés par la publicité. Dans le passé, l'égalité dans le désir restait la plupart du temps inconcevable. L'accès à certains biens et services était très limité ou sévèrement contrôlé , les différences sociales et économiques étant très rigides. Cependant, le désir et la rivalité mimétiques étaient déjà présents, comme on peut les repérer aussi derrière les mythes et les textes religieux, les védas indiens ou la bible par exemple. De même, trouve de vastes compilations de rites et de commentaires sur la pratique du sacrifice dans les  Brahmanas. Si les mythes racontent en effet des événements réels, mais en les déformant, ils ne sont jamais la pure fiction que beaucoup de personnes se font d'eux.

    www.mythes-religions.com

    Pouvez vous nous en donner des exemples?

    La doctrine du sacrifice dans les Brahamanas de Sylvain Lévianthologie raisonnée des Brahamanas est un bon exemple: "Le hommes, de même que les dieux e les démons, ont été créés par le sacrifice lui-même, qui se fait créateur en la personne de Prajâpati, le plus grand de tous les dieux.Toutes les créatures intelligentes de Prajapâti sont vouées aux rivalités et, par conséquent, aux sacrifices, car seul le sacrifice est capable, nous allons le voir, d'apaiser les rivalités entre ses créatures.Entre les dieux (Devas) et les démons (Asuras), il y a toujours un objet dont les deux groupes veulent s'assurer la possession exclusive. [...]. Dans de nombreux cas  cependant les dieux et les démons se disputent des biens faciles à partager[...], le bétail par exemple. mais là aussi, le partage est impossible car ce que tous convoitent n'est pas un peu ou même beaucoup de bétail, mais le bétail en soi, l'idée abstrait du bétail. Ce ne sont jamais les mêmes objets deux fois de suite. A chaque épisode, en effet, les Devas l'emportent sur les Asuras, grâce aux sacrifices qu'ils exécutent mieux que que leurs rivaux, et cette victoire rituelle leur assure la propriété de l'objet disputé. Plus on va, plus on comprend que les objets n'ont aucune importance. Ce ne sont que des prétextes à la rivalité. [...] Si l'objet est secondaire, qu'est-ce qui est essentiel dans ces  rivalités?[...] Ils réussissent à relancer la rivalité même dans les circonstances les plus propices à son extinction. L'exemple de la lune le montre nettement. Elle est l'un des objets que les dieux et les démons désirent simultanément. A la différence de tant d'autres objets, la Lune, tout au moins dans l'astronomie védique, est éminemment partageable. Tous les mois, elle se partage en elle-même en une lune croissante et une lune décroissante. Pour éviter cette nouvelle rivalité, Pour éviter une nouvelle rivalité, je suppose, Prajâpati décide d'assigner la première aux Devas, la seconde aux Asuras. On ne saurait imaginer solution plus équitable, mais les Devas n'en veulent pas. [...]. Les dieux désobéissent à leur créateur et principal protecteur. Loin d'être punis, ils sont récompensés car ils "voient"les rites adéquats et ils les exécutent à la perfection. Comme toujours, la rivalité aboutit au sacrifice, et le sacrifice, comme toujours, résout la querelle en faveur des Devas qui emportent la lune entière, au nez et à la barbe de Prajâpati. 

    Ce qui est intéressant, dans ces rivalités, c'est le mimétisme qui les engendre et, par la suite, en devenant réciproque, ne cesse de les exaspérer. Pour en repérer la genèse, il faut examiner le début, toujours semblable, de tous les épisodes; les deux groupes sont séparés, mais ils ne cessent de s'observer, et dès que l'un des deux désire un objet, l'autre ne cesse de l'imiter; bientôt, il y a deux désirs au lieu d'un seul, forcément rivaux puisqu'ils ont le même objet. Partout, l'imitation est le moteur de la rivalité. Elle rend compte de toutes les symétries et de toutes les réciprocités qui marquent nos récits avant l'intervention du sacrifice, seul capable d'engendrer une différence décisive, toujours en faveur des dieux. Les rivalités recommencent toujours après leur conclusion sacrificielle, non parce que le conflit est mal éteint, mais parce qu'il y a toujours de nouveaux objets qui suscitent de nouveaux désirs, et ces nouveaux désirs suscitent de nouvelles rivalités, calmées, chaque fois par de nouvelles interventions du sacrifice, longtemps indécises, mais toujours décidées en faveur des dieux. Cette imitation perpétuelle du désir de l'autre qu'on trouve partout dans les Brahamanas, n'est pas un phénomène réservé aux dieux et aux démons, mais aussi chez les hommes. Cette imitation caractérise toutes les créatures intelligentes de Prajâpati. Elle est responsable de la violence extrême des rapports entre tous les êtres qui doivent recourir au sacrifice pour résoudre les conflits et se différencier les uns des autres. Les Brahamanas conseillent en fait aux hommes d'imiter les dieux (les parvenus du sacrifice) et de les imiter, c'est à dire de recourir aux spécialistes du sacrifice que sont les brahmanes.

    b) Dans "Je vois Satan tomber comme l'éclair", vous affirmez que le désir mimétique et la rivalité sont révélés dans la Bible où l'on passe d'une simple description à une compréhension plus normative de l'imitation et du conflit.

    C'est essentiel. Dans le livre de la genèse, le désir est représenté comme mimétique: Ëve a été incitée par un serpent à manger la pomme et Adam a désiré ce même objet par l'intermédiaire d'Eve dans un chaîne mimétique évidente. Quand au meurtre d'Abel par Cain, il y a un élémént d'envie qui intervient et l'envie, c'est la rivalité mimétique. Le dernier commandement du décalogue,quant à lui, il interdit le désir mimétique: "Tu ne convoiteras pas la mason de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, rien de ce qui est à ton prochain" (Ex 20, 17). Même si la liste des interdits n'est pas complète, ils ont un dénominateur commun: ils appartiennent tous au voisin, au prochain.  Donc, en nous interdisant de désirer "tout ce qui appartient à ton prochain", le dernier commandement interdit le désir mimétique. C'est en fait l'interdit essentiel du décalogue, celui qui les résume tous. Si on peut les respecter, les autres ne doivent pas poser de problème. En effet d'où viennent les crimes dont il est question dans les autres interdits (tu ne tueras pas, tu ne voleras pas,...[Ex 20, 13-16])? Le dixième commandement répond: du désir mimétique. Les évangiles disent la même chose, mais en termes d'imitation et non plus d'interdit. En général, les gens pensent que le thème de l'imitation est limité à un seul modèle, jésus, qui est proposé là dans un contexte non mimétique. Mais nous sommes toujours dans le monde suggéré par le dixième commandement de Dieu. Jésus nous recommande de l'imiter lui, plutôt que le prochain, pour nous protéger des rivalités mimétiques. Le modèle qui encourage la rivalité mimétique n'est pas forcément plus mauvais que nous, il peut même être meilleur, ce qui est l'enjeu du modèle du Christ. Car s'il désire de la même façon que nous, de manière égoïste et avide, nous imiterons nous imiterons son égoïsme, comme lui le notre et nous serons des modèles mauvais, forcément rivalitaires, qui finissent toujours par se battre avec leur imitateur.

     

    3) le bouc émissaire et l'ordre social.

    wikipedia.org -Bouc émissaire

    a) Le désir mimétique dont il vient d'être question concerne d'abord les relations interindividuelles. Mais vous avez souvent montré qu'il a aussi des effets perturbateurs à grande échelle, puisqu'il peut détruire l'ordre social. Revenons plus en détail sur ce point?

    Lorsque le mimétisme fonctionne dans la réciprocité violente, dans une double imitation, il accumule de l'énergie conflictuelle qui a tendance à se répandre. Le mécanisme devient  de plus en plus attirant, mimétiquement parlant,pour ceux qui sont dans le voisinage. En effet, si deux personnes se battent pour le même objet, celui-ci augmente de valeur aux yeux du tiers qui contemple cette rivalité et séduit de plus en plus d'individus autour de lui. Mais lorsque l'attrait du rival grandit, l'objet du conflit tend à disparaître peu à peu, déchiré, déchiqueté, détruit dans la bagarre de tous les rivaux. Lorsqu'il passa au second plan ou disparaît, la mimésis est transformée en pur antagonisme. Les doubles prolifèrent, la crise mimétique s'étend et s'intensifie de plus en plus. Thomas hobbes, auteur du léviathan (Traité de la matière, de la forme et du pouvoir d'une république ecclésiastique et civile), qui avait repéré ce phénomène l'a appelé la lutte de tous contre tous

    La seule réconciliation possible, le seul moyen d'interrompre la crise et de sauver la communauté de l'autodestruction, c'est de faire converger cette colère et cette rage collective vers une victime désignée par le mimétisme lui-même et adoptée unanimement. Il s'agit d'un membre de la communauté qui passe pour cause unique du désordre. Il n'est pas plus coupable que les autre, mais la communauté est persuadée du contraire. La crise se conclut par le meurtre du bouc émissaire parce que celui-ci est unanime. Ce mécanisme du bouc émissaire permet de canaliser la violence collective contre un membre de la communauté choisi de façon arbitraire et qui devient l'ennemi de la communauté qui se trouve réconciliée par le meurtre de cette victime.                      

    Dans les rituels, on trouve souvent la nature mimétique de ce processus. Le rituel débute par un désordre voulu, une crise délibérée ou simulée et débouche sur l'immolation rituelle de la victime. C'est un répétition de la crise mimétique conduisant spontanément au mécanisme victimaire. Il est espéré que qu'ainsi cela réitérera son pouvoir de réconciliation.

     

     

    b) La résolution de la crise victimaire ne pourrait-t-elle pas être provoquée par des circonstances étrangères à la mimésis d'appropriation (une vraie épidémie de peste par exemple). Notre ignorance peut provoquer le besoin de trouver un responsable à la crise et la désignation d'un bouc émissaire. Il faudrait séparer la phénoménologie du désir mimétique et de la rivalité de celle du ménanisme sacrificiel lui-même.

     

    Oui, effectivement,une catastrophe objective comme une épidémie, une sécheresse prolongée, une inondation, suscite une escalade des doubles et une crise mimétique qui va déboucher sur un phénomène de bouc émissaire. Mais il n'y aurait pas de bouc émissaire si on ne passait pas de la mimésis de l'objet désiré, qui divise à une mimésis qui permet toutes les alliances contre la victime. Pour résoudre une crise, ce qui importe, c'est le passage du désir d'objet, désir qui divise ceux qui imitent à la haine du rival, qui, elle, réconcilie, par la polarisation de toutes les haines sur une seule victime. Aprés la résolution victimaire de la crise, cette unanimité persiste et elle n'entraîne plus aucun conflit, puisque la victime unique a polarisé mimétiquement toute la communauté. De rivalitaire et conflictuelle, la crise se transforme automatiquement  et spntanément en mimésis de réconciliation. En effet, il est impossible pour les rivaux de s'entendre  autour de l'objet qu'ils désirent tous, mais ils s'entendent très bien, au contraire contre la victime qu'ils haïssent tous.

     

    c) la victime doit-elle être choisis au hasard?

    Pas forcément. Cela dépend du degré de compréhension des persécuteurs... et aussi de la victime qui peut troubler le jeu. Si quelqu'un dénonce le mécanisme du bouc émissaire ce fauteur de trouble en sera la victime toute désignée. C'est ce qui s'est produit pour le Christ évangilique qui n'est donc pas une victime du hasard, contrairement à ce qu'affirme Hans Urs Von Balthasar dans La gloire et la croix. Le Christ s'est désigné lui-même à ses persécuteurs en leur reprochant de s'en remettre à la violence et de condamner des victimes innocentes. Mais en général, on ne peut pas dire que la victime est choisie au hasard, ni qu'elle ne l'est pas. Quand on observe attentivement les mythes, René Girard fait remarquer que les victimes sont trop souvent des infirmes, des êtres handicapés, ou des étrangers pour avoir été choisies purement par hasard comme le montre un passage du deuxième Isaï, le serviteur de Yahvé (Is 53,2-3):

     

    "[...] Il a grandi devant nous, [...]sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits; objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu'un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n'en faisions aucun cas."

    Les signes qui sont donnés comme raison de choisir cette victime (infirmités, traits déplaisants, pris à tort pour des signes de culpabilité), sont des raisons scandaleuses et insuffisantes, mais ils ne permettent pas de parler de pur hasard. Par exemple, dans les illustrations médiévales, les sorcières sont représentées avec des traits déformés, bossues, boiteuses, un peu comme les juifs et parmi les dieux grecs, nombre d'entre eux, tel Héphaïstos, loin d'être des Apollons, sont souvent handicapés, mutilés, rabougris, disgraciés (voir un texte parodique de Lucien de SamosateTragodopodagra ou bien Carlo Ginzburg, qui montre ce lien qui existe entre le fait de boiter, ou la mutilation d'un membre parmi les personnages mythologiques et le meurtre rituel et le royaume de la mort). Mais si les dieux archaïques sont souvent un peu abimés physiquement, il y a aussi parmi eux des Apollons et des Vénus


    C) En fait le choix de la victime est un mélange d'arbitraire et de nécessité.

     

    imagesbible.com -Joseph et la femme de Putiphar

    Certainement. Même s'il n'y a pas de signe de victimisation, on choisira un bouc émissaire de toute façon  au moment crucial. N'importe quoi peut être choisi comme signe et tout le monde pensera que le coupable a été trouvé. Le mécanisme du bouc émissaire fonctionne comme un phénomène faussement scientifique, une chose révélée que chacun peut vérifier "dans les yeux de ses voisins" ce qui renforce la certitude de la foule. Parfois, c'est un objet physique qui est considéré comme une preuve directe: dans Phèdre, la protagoniste de l'hippolyte d'Euripide, qui se tue après accusé son beau-fils de viol, Thésée se laisse facilement convaincre de la culpabilité d'Hippolyte parce que phèdre peut exhiber l'épée de celui-ci comme preuve. Arthur Maurice Hocart parle ici d'une sorte de "fétichisme" naïf de l'objet. Un autre exemple se trouve dans l'histoire biblique de Joseph, où la femme de Putiphar a gardé la tunique de ce dernier, ce qui semble prouver que Le jeune homme a cherché à avoir avec elle une relation sexuelle. Dans tous ces cas, il y a un objet physique qui semble une preuve évidente, la pièce à conviction numéro un en quelque sorte.

     

     

    d) Nous avons vu le phénomène des doubles à l'échelle individuelle. La collectivisation de ce phénomène explique l'escalade, qui fait partie du mécanisme du bouc émissaire et qui conduit à l'indifférentiation du groupe social tout entier. Celle-ci refléterait alors au niveau social le mécanisme de l'émergence des doubles.

     

    arts-jumeaux-doubles.blogspot.fr (castor et pollux)

    Oui, plus les gens deviennent indifférentiés, plus il est il est facile de décider que n'importe lequel d'entre eux est coupable. Le mot double qui implique l'absence de toute différence symbolise la désymbolisation et signifie cette indifférentiation, l'absence de toute différence. Les jumeaux mythiques (la liste est longue).Dans la théorie de Claude Lévy-Strauss, contrairement à cette vision, tout est différence au point que pour lui, il y a différence même entre les jumeaux, qui sont une négation logique de la différence. Tout comme Ferdinand de Saussureil affirme que le langage ne peut exprimer l'absence de différence. Pourtant, le langage parle de l'indifférentiation dont la métaphore est prise très au sérieux dans certaines sociétés, puisqu'on y massacre les jumeaux.  Bien sûr, par contre, d'autres sociétés, conscientes du fait que les jumeaux biologiques n'ont rien à voir avec le processus d'indifférentiation sociale, ne les stigmatisent pas. Mais la culture primitive a pu parler d'infférentiation, même si, en principe, le langage ne le permet pas. Comme le dit René Girard, le langage est bien plus malin et capable de réalisme que ne l'imagine Lévy-Strauss.

    liens: espritdavant.com -Jumeaux et cultes: mythes, divinités et saints

     

    e) Ce qui le rend possible, c'est que le mécanisme du bouc émissaire précède l'ordre culturel et le langage en particulier. En fait, c'est lui qui permet à la culture de se développer.Cela amène à la question: comment se développe la culture? Pour René Girard, la réponse est: par le rituel. "Pour tenter d'empêcher les épisodes de violence mimétique imprévisibles et fréquents, les cultures organisent des moments de violence planifiés, contrôlés, maîtrisés, à dates fixes et ritualisés. En répétant sans cesse le même mécanisme (du bouc émissaire) sur des victimes de rechange, le rituel effectue une sorte d'apprentissage. Il interviendra toujours au même moment de la crise mimétique pour sa résolution. Peu à peu, il se transformera en une institution qui assagit la crise et toute forme de crise: crise de l'adolescence avec ses rites de passage, crise de la mort résolue par les rites funéraires, crise de la maladie avec la médecine rituelle. La crise peut aussi être imaginaire, mais la différence n'est pas grande. Une crise imaginaire peut tout aussi bien créer une vraie catastrophe. 

    Les Lumières n'ont vu dans le rituel que son utilisation par des prêtres "fourbes et avides" pour imposer leurs abracadabras au bon peuple excessivement crédule. Mais selon René Girard, cette thèse est absurde et les clergés ne peuvent pas précéder l'invention  de la culture. Le religieux est premier et et, loin d'être une farce dérisoire; il est l'origine de toute culture. Et l'humanité est fille du religieux.
    liens:  wikipedia.org -Culture
    wikipedia.org -Rite.

     

    f) Arthur Maurice Hocart, que nous avons évoqué en b) à propos du 

     

    mythologica.fr -le meurtre d'abel  

    fétichicisme de l'objet, souscrit à cette deuxième hypothèse pour avoir écrit: "Le rituel n'es guère apprécié par nos intellectuels. Ils l'assimilent pour la plupart, au cléricalisme pour lequel ils ont peu de sympathie. Cela ne les dispose guère à admettre que des institutions comme celles de l'administration moderne, qu'ils approuvent et qui leur semblent éminemment rationnelles et efficaces, soient nées de cette superstition qu'est, à leurs yeux, le rituel. Pour eux, seul l'intérêt économique peut créer quelque chose d'aussi solide que l'état. Pourtant, avec un peu d'attention, il leur serait aisé de voir partout autour d'eux des communautés cimentées par un intérêt rituel commun; et ils s'apercevraient que la ferveur rituelle est un ciment plus solide que toutes les ambitions économiques, puisqu'un rituel implique une règle morale tandis que l'économie est une règle de profit, qui divise au lieu d'unir.

    Ce texte est admirable, mais il faut aller plus loin et penser à l'histoire de Caïn qui est ici essentielle en révélant que Caïn est le fondateur de la première culture. Le texte pourtant ne mentionne aucune fondation. Dans le texte biblique on y trouve le meurtre d'Abel, puis, immédiatement après, la loi contre le meurtre (Gn 4,15):  L'Eternel lui dit: «Si quelqu'un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois». Cette loi représente, pour René Girard, la fondation de la culture, parce que la peine capitale, qu'on retrouve dans toutes les cultures, c'est déjà le meurtre rituel. On la retrouve dans le Lévitique avec une forme de mise à mort strictement codifiée, à laquelle toute la société participe. Depuis lors, avec la peine capitale, le meurtre originel se répète de la même façon,  tout le monde y prend part et personne n'en n'est responsable. On peut dire que la culture émerge de ce meurtre proto-rituel:  la bible dit que qu'à partir de Caïn, et de sa lignée, sont nées la domestication des animaux, la musique et la technique (Gn 4,20-22).

     

    g) C'est exactement le mythe de Prométhée raconté par Eschyle.

     

     

     

    "Prométhée est la victime sacrificielle qui est tuée, puis cannibalisée sans cesse, l'aigle lui mange le foie dans une répétition indéfinie du sacrifice. En tant que victime sacrificielle, il est "responsable" de l'invention de la culture, il est représenté comme la matrice d'où émergent le langage, les sciences et la technique.'

    Liens: philolog.fr -Le mythe de Prométhée
     

    mythologica.fr -prométhée

     

    liens: crdp.ac-paris.fr/parcours -Abel et Caïn, un récit fondateur de l’imaginaire occidental C’est toute l’humanité

    lemondedesreligions.fr -Le mythe de Prométhée réhabilité

    philolog.fr -Le mythe de Prométhée

    mythologica.fr -prométhée
    apprendre-la-philosophie.blogspot.fr -L'origine de la technique, le mythe de Prométhée
     

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    Les origines de la culture 1) Qui est René Girard?

     

     

     

    1) Pourquoi cette série d'articles?

     

     

     

    mythologiegrecque.com.sitew.com/Les Dieux: arès

    Nous vivons peut-être la fin de l'ère chrétienne, accompagnée d'une crise des valeurs (peut-être va-t-on vers un nouveau christianisme?) et de nombreux dérèglements se produisent dans notre société. On assiste à une résurgence du paganisme et des mythes de l'antiquité grecque. NarcisseProméthée sont de retour et deviennent envahissants.Le mimétisme s'exacerbe que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans les médias, même si l'individualisme est puissant et poussé par un ego qui devient forcené. 

    Cela me donne l'idée de rédiger une série d'articles en donnant "ma lecture" du livre de René Girard "Les origines de la culture". Celui-ci est le premier. Il commence donc par une présentation de René Girard.


    lienswikipedia.org -Mimétisme comportemental


    2) Qui est René Girard?


    René Noël Théophile Girard, né à Avignon (Vaucluse) le 25 décembre 1923, est un philosophe français, membre de l'Académie française depuis 2005. Ancien élève de l'École des chartes et professeur émérite de littérature comparée à l'université Stanford et à l'Université Duke aux États-Unis, il est l’inventeur de la théorie mimétique qui, à partir de la découverte du caractère mimétique du désir, a jeté les bases d’une nouvelle anthropologie Il se définit lui-même comme un anthropologue de la violence et du religieux. Nous essaierons d'approfondir sa pensée à travers une de ses dernières oeuvres Les-origines de la culture.

     

    - Les livres de René Girard: 

     

     

     

     

    liens: wikipedia.org -René Girard                complexe d'Œdipe

    rene-girard.fr -Association recherches mimétiques: séminaires et colloques

    wikipedia.org -Portail:Mythologie grecque

    mythologiegrecque.com.sitew.com -Les dieux, carte d'identité

    wikipedia.org -Paganisme

     

     

    3) les origines de la culture.


     

    wikipedia.org -René Girard

     
     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    a) Première approche avec un texte de skanderkali

     

     

     

     

    <header class="entry-header" style="font-size: medium; color: rgb(54, 49, 45); font-family: Enriqueta, georgia, serif; line-height: 24px;">

    "Les origines de la culture" de René Girard : Au commencement était le meurtre…

    </header>

     

    « L’homme se différencie des autres animaux en ce qu’il est le plus porté à imiter »

    (Aristote, « Poétique »)

    girardCette citation pourrait peut-être résumer (très partiellement) l’œuvre essentielle de Réné Girard, anthropologue religieux (auteur de « La Violence et le Sacré », ouvrage indispensable mais de lecture assez ardue) et critique littéraire de haute volée (avec le classique des études de lettres « Mensonge romantique et vérité romanesque »).

     

    La théorie dite « mimétique » de Girard s’appuie sur deux notions clés complémentaires l’une de l’autre : le désir mimétique et sa conséquence violente, le mécanisme sacrificiel du bouc émissaire.

     

    Qu’est-ce que le désir mimétique ? C’est le constat que notre désir naît toujours de l’imitation du désir d’un autre pris pour modèle. Autrement dit, on ne désire pas seul et pas spontanément. On désire ce que les autres désirent, ce que les autres possèdent, ce que les autres pourraient désirer. Même refuser ou refouler un désir (est-ce possible ?) introduit les autres au cœur de notre non-choix : par exemple, on repousse un objet potentiel de désir parce que justement… personne n’en voudrait. Même les phénomènes d’abstinence comme l’anorexie introduisent l’omniprésence des phénomènes d’imitation (Girard a traité ce problème dans "Anorexie et désir mimétique").

    Bref, explicitement ou implicitement, les autres hantent nos désirs et leurs objets. D’ailleurs, on ne désire pas : on mime un désir.

     

    La somme sociale de ces désirs mimétiques mène à la rivalité, à une forme de « course aux armements » qui vise des objets de désir désirés par d’autres (Girard parle de « mimesis d’appropriation »). Le conflit violent, voire apocalyptique, est l’horizon du désir : c’est la crise mimétique où chacun devient le rival mortel de l’autre.

    Comment résoudre cette crise ?

    Par le bouc émissaire.

     

    Girard constate que les sociétés primitives qui ont survécu à l’autodestruction et à la violence collective ont su contrôler les rivalités en réorientant leur violence sur un bouc émissaire sacrificiel humain jugé responsable du chaos communautaire.

    La vie collective doit donc son salut à un meurtre originel caché sur lequel se fonde les rituels et les mythes fondateurs (par exemple, Girard voit en Œdipe un innocent transformé injustement en coupable pour servir de victime émissaire).

    Le meurtre planifié d’un bouc émissaire à chaque crise sociale devient une structure fondamentale de la pensée collective, une religion, une norme, une symbolique, un langage, une esthétique,  en un mot : une culture. La culture d’un groupe qui partage une culpabilité commune : celle d’avoir tué des innocents pour assurer sa survie ou son équilibre.

    Mais justement, ces crimes ne sont pas parfaits : les textes religieux et la littérature gardent la trace de ces meurtres premiers, de ces rivalités destructrices. Ils révèlent nos mécanismes mimétiques les plus intimes (que Girard a brillamment découvert chez Proust, Cervantès, Dostoïevski, Shakespeare…) ou nous rappèlent l’innocence du Bouc émissaire, notamment dans les Evangiles.

     

    Car, précisons-le, Réné Girard est un chrétien fervent.

    Il considère que la Révélation chrétienne nous dévoile des mécanismes mimétiques et sacrificiels « cachés depuis la fondation du monde ».

    Son travail extrêmement profond, érudit et parfaitement cohérent est trop puissant pour être traité et critiqué à la légère. Affirmons sobrement que son analyse passionnante est suffisamment tolérante et bienveillante pour être lisible par des laïcs athées.

    D’ailleurs, il ne s’agit pas d’être pour ou contre Girard.

    Il s’agit de le lire très attentivement, d’apprendre grâce à lui et d’aborder différemment des oeuvres qui dissimulent le meurtre de l’innocence.

    La culture ne serait pas donc une momie aseptisée et abstraite pour intellos distingués mais… une vaste enquête créative qui ne cesserait de trouver des cadavres sanglants dans les placards.

     

    Nota Bene : ce texte s’appuie sur la lecture de « Les origines de la culture » (paru en poche, chez Hachette Littératures, collection Pluriel). Cet ouvrage comprend des entretiens avec René Girard, une réponse assez pédagogique à Régis Debray intitulé « Les moyens du bord » ainsi qu’une excellente préface très éclairante. Ce livre constitue une très bonne introduction à « La Violence et le Sacré », essai plus difficile à lire.

    A noter également, un DVD (chez Montparnasse éditions) remarquable sous forme de long entretien avec Girard.

     

    b) approche avec franceculture.fr -Les origines de la culture

     

    Avec deux hypothèses, l’une sur le désir mimétique, l’autre sur les victimes fondatrices, René Girard a bouleversé le champ des sciences humaines. Sa théorie, qui a replacé le christianisme au cœur de l’anthropologie, est aussi l’une des rares, depuis Durkheim, à tenter d’expliquer les phénomènes culturels et sociaux en remontant à leur origine. Au point que c’est de la ritualisation des premiers événements que seraient nés les groupes sociaux et les mécanismes qui les protègent : tabous, normes, institutions. Mais seul le sacrifice du Christ, affirme René Girard, dévoile ceux qui auraient eu lieu au départ des religions et des cultures archaïques.
    Répondant aux questions de Pierpaolo Antonello et de João Cezar de Castro Rocha, l’auteur de La Violence et le Sacré éclaire la nature de son entreprise. Il revient pour cela sur les grandes étapes de sa vie et de sa carrière, évoque la réception de son œuvre en France et dans le monde, et ses chantiers en cours. Face aux critiques qu’on n’a pas manqué de lui faire, mais aussi aux questions brûlantes de l’actualité, il formule différemment ses thèses (un darwinisme revisité) et propose des analyses inédites : des pages sur l’Inde védique ou d’autres, plus polémiques, contre Régis Debray et ce qu’il est convenu d’appeler le «retour du religieux».
    Cette autobiographie intellectuelle apporte un éclairage singulier sur l’une des pensées les plus stimulantes de notre époque. L’itinéraire de ce chercheur totalement indépendant apparaît, de fait, exemplaire. En restant à l’écart des écoles de pensées, des modes académiques, voire des compromis institutionnels, René Girard a su se ménager un surprenant espace de liberté. Le prouvent le nombre et la qualité des recherches interdisciplinaires que cette œuvre suscite : autant de prismes nécessaires pour penser l’origine.


    liens: skanderkali.com -Les origines de la culture" de René Girard : Au commencement était le meurtre…

    verel.typepad.fr -Les origines de la culture

    wikipedia.org -Culture

     

     

    "Ma lecture" du livre débutera par le prochain article: "Une longue argumentation du début jusqu'à la fin".

    mythologiegrecque.com.sitew.com -Les_Dieux_Carte_d_identite

     

     

     

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    Les origines de la culture 2) Introduction: "Une longue argumentation du début à la fin."

    (Voir le 3ème commentaire Par Laetirature, le 07 mai 2011)



     

    wikipedia.org -René Girard

     
     

     

     

     

     

     

     

    Les livres de René Girard: 

    jstor.org/discover -To doble businesse bound (Essays on Literature, Mimesis, and Anthropology by René Girard) (1978)

    www.amazon.fr -Le bouc émissaire (version .pdf: lea.u-paris10.fr -Le bouc émissaire)

    grasset.fr -La route antique des hommes pervers (1985)amazon.fr -Shakespeare, les feux de l'envie (franceculture.fr -Shakespeare, les feux le l'envie)
    arlea.fr -Quand les choses commenceront (1994)

    goodreads.com -The Girard Reader (1996)

    grasset.fr -Je vois Satan tomber comme l'éclair  (libertylovers.blogspot.fr -Je vois Satan tomber comme l'éclair) (1999)

    amazon.fr -Celui par qui le scandale arrive (2001)

    libertepolitique.com -La voix méconnue du réel (2002) grasset.fr -La voix méconnue du réel (premiers chapitres)

    amazon.fr -Le sacrifice (2003)

    amazon.fr -Les-origines de la culture (Entretiens-Pierpaolo) (2006)

    amazon.fr -anorexie et désir mimérique (2008)

    carnetsnord.fr -La conversion de l'art      porte-cierge.blogspot.fr -La conversion de l'art (2008)

     

    1) Préambule sur "les origines de la culture" et René Girard.

    Exergue: "Certains de mes critiques ont dit: "Oh, c'est un bon observateur, mais il n'est pas capable de raisonner." J'en doute, dans la mesure où l'origine des espèces n'est qu'une longue argumentation du début à la fin, et qu'elle a pu convaincre plus d'une homme compétentCharles DarwinAutobiographie.

    itinerarium.fr -Qui est le (vrai) bouc émissaire ?

    René Girard est un des derniers "porc-épics " vivants comme le dit Roberto Calasso dans "La ruine de Kash". Cela réfère à à la typologie d'Isaïah Berlin tirée d'un vers d'Archiloque: "Le renard sait beaucoup de choses, mais le porc-épic ne sait qu'une seule grande chose". Pour René Girard, le bouc-émissaire serait cette seule grande chose selon Roberto Calasso. Si c'est en partie vrai, rené Girard sait aussi une autre grande chose: le désir mimétique. A partir de ces choses, et pendant 40 ans, pour reprendre les mots de Charles Darwin, il a déroulé "une seule et longue argumentation". C'est ainsi que João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo Antonello présentent René girard dans leur introduction au livre "les origines de la culture", essai qui tente de reconstituer, au cours de dialogues systématiques, ce fil que René Girard a tenu sa vie durant... Les auteurs ont donné à ce dialogue souvent dense et précis, le ton d'une autobiographie intellectuelle comparable selon eux à celle de Charles Darwin.

     

    liens: wikipedia.org -Opinion de Charles Darwin sur la religion

    lea.u-paris10.fr Le bouc-émissaire (René Girard)

    philolog.fr -Le désir mimétique rené girard

    cles.com -le désir mimétique par Alain Valade et Patrice van Eersel

     

    2) Penser le mimétisme.

    zphoto.fr -mimétisme

    La théorie mimétique, de par sa transversalité, doit être saisie dans sa complexité, à savoir qu'elle induit d'abord des relations interdisciplinaires et pointe ensuite vers des relations intersubjectives ayant des conséquence à l'échelle sociale. Elle propose un récit renvoyant aux origines violentes de notre culture dont le moteur premier est, selon René Girard, le mimétisme, ie l'imitation, qui doit être ici comprise dans un sens anthropologique, sens où Girard a porté à l'extrême l'affirmation d'Aristote dans la Poétique: "L'homme se différencie des autres animaux en ce qu'il est le plus porté à imiter." Contrairement à ce qui a eu lieu dans dans la culture contemporaine, il a donné à l'imitation sa plus ample signification anthropologique et sociale en montrant que le mimétisme implique des processus artistiques et sociaux qui se réalisent à travers des configurations toujours plus complexes, tout en se fondant sur un mécanisme relationnel identique. Notre désir naît toujours de l'imitation de celui d'un autre pris comme modèle, et si la société ne parvient pas introduire une hiérarchie entre le sujet désirant et ses modèles, l'imitation tend à devenir antagoniste, avec comme conséquence un conflit potentiel entre le modèle et le sujet pour obtenir l'objet de leur désir commun, objet qui perd alors de son importance pour alors qu'en même temps la rivalité s'accroît. Cette hypothèse permet de structurer les dynamiques relationnelles de l'individu et les différentes configurations psychopathologiques rattachées à la définition de son identité ainsi que les répercussions funestes du mimétisme au niveau social.

    La possibilité même de l'émergence de la culture présuppose la découverte du mécanisme de contrôle de cette violence issue de la mimesis d'appropriation. Ainsi, penser le mimétisme signifie ultimement "penser l'humain". On peut souligner les conséquences négatives d'un désir ainsi conçu, mais si l'objet est occasion de conflit et de rivalité, il peut aussi devenir l'instrument qui permet d'apaiser cette rivalité. L'imitation mène au conflit, mais elle est aussi la base de toute transmission culturelle. L'autre est à la fois modèle et rival. Le bouc émissaire est le mal à expulser, mais en même temps ce qui est transcendant car c'est par sa mise à mort, suivie de sa divinisation, que l'équilibre social est retrouvé. La base de la connaissance et du comportement humain est contenue dans dans cette faculté provenant d'une structure unique mais ambivalente: l'imitation. C'est le mécanisme du bouc émissaire, produit, par la canalisation de la violence collective, qui permettra, pierre par pierre, victime après victime, de construire l'édifice précaire de nos institutions et de ces normes éthiques.  En mettant un frein aux dérives conflictuelles et acquisitives, elles favorisent les aspects positifs du mimétisme (éducation, connaissance, art). 


    liens: sophia-cholet.over-blog.com -Le désir mimétique, concept clé de la pensée de rené girard

    wikipedia.org -Mimétisme      wikipedia.org -Bouc émissaire

    wikipedia.org -Le grand Autre                      wikipedia.org -Le petit autre

     

    3) Evolution et victimisation.

    jcdurbant.wordpress.com -année darwin et catastrophisme

    On oublie souvent que la théorie mimétique reste l'une des rares hypothèses anthropologiques qui tente d'expliquer les phénomènes culturels et sociaux en remontant à leurs origines. les anthropologues, les historiens, les sociologues et même les scientifiques qui essaient de repérer une théorie sociale qui serait compatible avec des présupposés scientifiques et traiterait de la fondation du monde, finissent pour la plupart par retourner aux explications de Emile Durkheim. Ente Durkheim et le modèle mimétique, le siècle dernier a expulsé toute considération sur l'origine de la culture et des institutions, moment sans doute considéré, un peu comme le big bang, comme inatteignable. De plus, les origines violentes de notre culture sont la plupart de temps occultées, alors que, selon René Girard, le moteur de tout notre savoir, notre science, notre technique ne fait qu'un avec le sacrifice. 

    A partir de "la violence et le sacré" (1972) et "des choses cachées depuis la fondation du monde" (1978), il a émis un hypothèse sur l'émergence de la culture à partir de données éthologiques et ethnologiques. Puis, l'explication mimétique apparaît à l'intérieur d'une projection strictement naturaliste et darwinienne avec "celui par qui le scandale arrive" en 2001. On peut faire l'hypothèse d'une phase animale à une phase culturelle dans le développement cognitif et symbolique de l'Homo-sapiens. Dans sa lente ascension évolutive, l'homme trouve en effet dans le mécanisme victimaire un instrument pour contrôler l'escalade mimétique, qui peut diffuser jusqu'au paroxysme la vengeance à l'intérieur du groupe. C'est le rôle du bouc émissaire de canaliser la violence collective et la rejeter sur un seul individu jugé responsable de la crise sociale, née de motifs contingents, comme la famine ou les épidémies. Cela permet à la communauté de calmer le chaos dans lequel elle est périodiquement entraînée. Ainsi, pour René Girard, de la ritualisation de ce proto-événement, naîtraient tous les mécanismes de structuration du social: les tabous, les normes, les institutions.

    Ce mécanisme victimaire comme moteur originaire de notre culture n'est en rien strictement "mécanique", mais il s'agit d'un événement systémique contingent dû "au hasard et à la nécessité(dans une vision d'abord scientifique). Il est dû d'abord au hasard, car cest une forme efficace trouvée accidentellement par la communauté primitive pour canaliser et contrôler la violence au sein de l'espèce, et ensuite à la nécessité, parce qu'il se révèle être le mécanisme structurant qui leur procure le meilleur type d'adaptation. C'est à partir de ce mécanisme que se développeront les formes symboliques du langage et des rites et les nouveaux instruments cognitifs et techniques d'adaptation sociale et culturelle. L'apparition "fortuite du sacré" dans les cultures primitives montre qu'il s'agit d'un phénomène tout à fait naturel; ne pas trouver ce mécanisme pour un groupe proto-humain entraîne son extinction ou entrave le plein développement de sa complexité. René Girard peut être considéré, selon la suggestion  de Michel Serres, comme le "Darwin des sciences humaines". Si l'hypothèse de la sélection naturelle explique les mécanismes qui réglement l'évolution des espèces animales, la théorie du bouc émissaire rend compte, elle, du mécanisme qui est à la base de la naissance et de l'évolution de la culture. 


    liens: scienceshumaines.com -Émile Durkheim (1858-1917) - Le père de la sociologie

    maroudiji.over-blog.fr -rene-girard-le-darwin-des-sciences-humaines

    4) Le crime n'était pas parfait.

     

     

    René Girard utilise les données anthropologiques et ethnologiques, y compris les mythes et les rites comme de véritables "restes fossiles" de l'évolution culturelle de l'homme, où apparaissent, en filigrane, les traces du crime fondateur Il traite ces rites, mythes et la littérature elle-même comme "pièces à conviction" comme preuves et évidences de "ces choses cachées depuis la fondation du monde." Le pari de René Girard, c'est l'idée que ces textes révèlent le moteur des relations humaines. A une époque où la théorie dominante tend à nier tout référent en dehors du discours (dominant), il n'a eu de cesse d'aller dans la direction opposée, en soulignant le réalisme de son argumentation. Sa pensée, tant en anthropologie qu'en histoire comparée des religions et des cultures s'applique aux constantes qui expliqueraient pourquoi les mythes racontent toujours la même histoire, celle d'un assassinat fondateur réel, bien que toujours caché dans une structure mythologique, elle-même à l'origine de la culture. Et ce meurtre fondateur ne peut être que dissimulé, car la culture et l'ordre social refusent de de voir leur lynchage fondateur. Mais René Girard pense cependant que l'assassin est trop souvent revenu sur les lieux de son crime, en mimant à l'excès son geste et en laissant trop de traces, trop d'indices. Cela évoque la leçon d'Edgar Allan Poe dans La lettre volée: c'est l'abondance même des preuves qui nous empêche de nous rendre compte de l'universalité du désir mimétique et du mécanisme sacrificiel.

     

    4) Epistémologie et conversion. 
    On peut voir dans les prolongements religieux de la théorie mimétique uniquement une dimension apologétique chrétienne qu'il faudrait expulser pour être compatible avec le scepticisme ambiant. En effet, la théorie mimétique s'oppose au préjugé dominant, des Lumières jusqu'à aujourd'hui, selon lequel le phénomène religieux ne pourrait en aucun cas avoir la pertinence que cette théorie lui attribue dans l'émergence de la culture. Pour ses détracteurs, l'hypothèse girardienne ne serait rien d'autre qu'un produit dérivé de son option religieuse, considérée comme vice idéologique de base. Mais c'est oublier (ou vouloir ignorer) la présence de la religion et des institutions dans la construction des premières formes de civilisation et dans l'histoire de toutes les cultures du monde. 

    Ici, on trouve une approche du phénomène religieux où rené girard propose un cour-circuit conceptuel parmi les plus provocateurs, qui est l'idée de "conversion", non plus pensée comme un simple phénomène existentiel, mais comme un véritable présupposé scientifique. Ce terme, banni depuis longtemps de toute réflexion philosophique, devient épistémologiquement crucial dans le cadre de la théorie mimétique. "Cette notion s'impose comme comme une critique du sujet, c'est à dire de l'autonomie présumée de l'individu moderne par rapport à la pléthore de modèles avec lesquels il doit interagir." Le présupposé de l'autonomie du sujet a été largement déconstruit par un siècle de discussions critiques et philosophiques avec le structuralisme, le post-structuralisme, l'herméneutique, de Marx à Freud (voir http://books.google.fr). Mais il demeure encore très ancré dans nos comportements individuels. Nous avons tendance à nous croire libres dans nos choix ou nos convictions et à ne pas admettre nos rapports de rivalité intime. Nous déconstruisons tout, sauf notre certitude d'être autonomes et pour chacun d'entre nous, les persécuteurs seront toujours les autres. La rationalisation de la position du sujet est une pratique à laquelle la théorie mimétique oppose une critique dans laquelle se convertir signifie être pleinement conscients que nous sommes toujours en proie au désir mimétique et que nos choix ne sont pas aussi libres que nous le croyons. 

    Ce concept de conversion remet en question la séparation fictive, que Descartes a consacrée, entre sujet et objet: nous sommes en même temps sujets et objets du désir mimétique. Reconnaître la théorie de René Girard, c'est accepter ses présupposés qui ont des conséquences pour le sujet qui en parle (et que nous sommes et examiner les faits avec sa propre expérience pour en déduire la plausibilité de l'hypothèse mimétique. Mais nous voyons difficilement nos comportements mimétiques et nos histoires de persécution personnelles, ce qui nous empêche souvent de commencer à discuter de ce perspectives.


    liens: jesusmarie.free.fr -walter_deviviers:COURS 'APOLOGÉTIQUE CHRÉTIENNE 
    phi2080.uqam.ca -Le XVIIIe siècle : le siècle des Lumières
    wikipedia.org -Conversion religieuse

    2.cndp.fr -Philosophie et psychanalyse, regards croisés sur le sujet

    jeanzin.fr -Sujet-Objet (de Descartes à l'écologie)
    guykarl.canalblog.com -de la scission sujet-objet (Le jardin philosophe)

    5) Christianisme et post-modernité.

    wikipedia.org -Mythologie

    Le même paradoxe existe à propos de l'impact du christianisme sur l'histoire de l'occident, cet autre "scandale" de la théorie girardienne. Il se manifeste particulièrement dans le cas des sciences sociales et naturelles qu'on peut caractériser par leur "allergie" au religieux. René Girard montre en fait comment le christianisme est encore la science humaine la plus féconde. Comme l'a dit Simone Veil, avant d'être une théorie de Dieu, une théologie, les Evangiles sont une "théorie de l'homme", une anthropologie. Girard soutient que le christianisme n'est autre que "la prise de conscience culturelle et morale de la nature sacrificielle de notre culture et de notre société". Elles permettent de lire dans la mythologie et les Ecritures la prise de conscience progressive de l'origine violente de l'ordre culturel.Le christianisme est le point culminant d'une phase de développement de l'homme, qui le voit aux prises avec le danger contagieux de la violence interne à la communauté, et qui ne réussit à y porter remède qu'en trouvant de nouveaux boucs émissaires jugés coupables, mais en fait innocents ("Il vaut mieux qu'un seul meure plutôt que l'entière communauté" dit la logique sacrificielle et "Ils m'ont haï sans raison" révèle le Christ dans Jn 15,25). Le christianisme représente donc pour l'évolution culturelle humaine, ce que la culture a représenté pour la sélection naturelle (quand l'homme n'est plus victime du mécanisme aveugle de sélection darwinienne, mais commence à s'en affranchir). C'est le moment où l'homme se libère de la nécessité de recourir à l'immolation de boucs émissaires pour clore les conflits et les crises communautaires et où l'homme devient conscient de de l'innocence de ses victimes.

    Ainsi René Girard met en évidence un paradoxe de la culture occidentale. Dès l'époque moderne, elle semble vouloir se libérer définitivement des contraintes religieuses et confessionnelles par l'expulsion rationaliste du religieux. Mais c'est alors qu'elle révèle ses racines les plus profondément chrétiennes. Notre culture contemporaine est en effet bâtie autour de la centralité de la victime: victimes de l'Holocauste, victimes du capitalisme, victimes des injustices sociales, des guerres et des persécutions, des désastres écologiques, des discriminations raciales, sexuelles, religieuses.... Or, c'est le christianisme qui a placé la victime innocente au coeur de nos discours. 

    Si maintenant le mécanisme sacrificiel ne peut plus fonctionner puisqu'en ont été révélés l'injustice et l'arbitraire, la société moderne se trouve engagée dans une nouvelle phase évolutive, comme un laboratoire où s'élaborent de nouveaux mécanismes d'équilibre et de stabilité. Le rupture de de ce qui a été fondé sur des présupposés religieux ou sacrés fait replonger l'homme dans la fluidité mimétique du social, des scandales et des oscillations du désir et de la haine. Il est un fait que le compréhension chrétienne de la réalité s'est partout diffusée et a imposé la sécularisation du monde comme le montrent le marché et et le capitalisme avancé, les institutions démocratiques, la diffusion des outils technologiques et médiatiques, en incarnant aussi une époque où la fausse transcendance ne protège plus l'homme. Cela aboutit à de nouvelles structures de "contention" qui se fondent sur formes de transcendance sécularisée comme l'idéologie démocratique, la technologie, la spectacle médiatique, la marchandisation des rapports individuels. Ils réussissent à retarder l'événement apocalyptique, seul horizon de la dissolution de l'ordre religieux. René Girard ne prophétise pas sur le destin prochain de l'humanité, et met en garde contre toute interprétation de la réalité contemporaine qui ne tiendraient pas compte des ambiguïtés du développement social et politique et qui se réduiraient à des formules lapidaires: post-modernismenihilisme, fin de l'histoire. On peut sans doute voir une preuve de la validité anthropologique de la théorie mimétique dans les conflits actuels et la dérive fondamentaliste des acteurs du terrorisme. Elle est une pierre d'achoppement pour la compréhension du monde contemporain, surtout en ce qui concerne la question de plus en plus épineuse de la violence collective, politique et religieuse. Cette pensée a pris, ces dernières années des accents nouveaux. Longtemps, René Girard a soutenu que le christianisme définissait un espace non sacrificiel, la constitution d'un ordre exempt de violence. Mais dans ses derniers livres, ("Je vois Satan tomber comme l'éclair" et "Celui par qui la scandale arrive" et nettement plus encore dans le présent ouvrage "Les origines de la culture"), il réévalue cette position à travers une lecture attentive du "jugement de Salomon": "Nous vivons tous au coeur de dynamiques mimétiques et conflictuelles et la définition d'un espace non sacrificiel est illusoire. La conflictualité, loin de nous être étrangère, est ce qui nous est le plus propre. Il ne faut pas voir là, évidemment, une justification naïve de la violence, mais un constat lucide de son caractère radical. C'est seulement à partir de cette conscience que nous pourrons cohabiter avec ce qui, à la fois, définit l'homme et le met en échec."


    Ceci terminera ce deuxième article consacré à l'introduction du livre "Les origines de la culture" qui a été faite par João Cesar de Castro Rocha et Pierpaolo AntonelloDans le prochain article, nous examinerons la chapitre I "La vie de l'esprit". 


    liens: wikipedia.org -Christianisme
    fr.wikipedia.org -Théologie            wikipedia.org -Ontothéologie        fr.wikipedia.org -Evangiles
    catharisme.eu -Livre II : L'Écriture Judéo-Chrétienne: Lecture sacrificielle et christianisme historique
    (venant de: catharisme.eu -Le christianisme cathare)
    wikipedia.org -Mythologie         wikipedia.org -Saintes écritures
    wikipedia.org -sécularisation    
    akadem.org -Un concept historique et philosophique La Sécularisation

      lescalier.wordpress.com -Un monde sécularisé ?
    ress.revues.org -La démocratie providentielle, temps de l’ultra-sécularisation
    cmpp.ch/conseil_de_dieu/ -LA PIERRE D’ACHOPPEMENT




    En épilogue je rappelle deux extraits mes articles que je médite souvent. J'y ai répensé en écrivant  le présent article. Notre existence a-t-elle un sens? 2) Le désenchantement du monde (et de l'homme)

    Extrait:4) Le désenchantement: [...] Antoine de Saint Exupéry était un ceux qui avaient le mieux perçu ce problème, il y a plus d'un demi-siècle. Il répond par avance à ces scientifiques: "L'homme de ma civilisation ne se définit pas à partir des hommes. Ce sont les hommes qui se définissent par lui. Il est en lui, comme en tout être, quelque chose que n'expliquent pas les matériaux qui le composent. Une cathédrale est bien autre chose qu'une somme de pierres. Elle est géométrie et architecture. Ce ne sont pas les pierres qui la définissent, c'est elle qui enrichit les pierres de sa propre signification."  Puis il perçoit le "drame de l'humanisme athée": l'impossibilité de un fondement solide à l'humanisme dans un monde où l'homme ne serait "rien d'autre que...", ce que des philosophes matérialistes contemporains lucides comme André Comte-Sponville ont admis. Saint Exupéry poursuit: "On ne dit rien d'essentiel sur la cathédrale si on ne parle que des pierres. On ne dit rien d'essentiel sur l'homme si l'on cherche à le définir par ses qualités d'homme. L'Humanisme a ainsi travaillé dans une direction barrée d'avance [...] Nous avons glissé, faute d'une méthode efficace, de l'Humanité qui reposait sur l'Homme, vers cette termitière qui repose sur la somme des individus. Qu'avions-nous à opposer aux religions de l'Etat ou de la masse?  Qu'était devenue notre grande image de l'Homme né de Dieu? [...] Si notre société pouvait encore paraître souhaitable, si l'homme y conservait encore quelque prestige, c'est dans la mesure où la civilisation véritable, que nous trahissons par notre ignorance, prolongeait encore sur nous son rayonnement condamné, et nous sauvait malgré nous-mêmes."


    Notre existence a-t-elle un sens? 3) Comment ébaucher un "traité de la condition humaine?"

    Extrait: 3) Sauvegarder les valeurs? Comment?
    Seule une transcendance peut servir de fondement. Si elle n'existe pas, il nous faut respecter "une morale sans fondement". 

    André Comte-Sponville a montré dans "morale sans fondement", que nous ne pouvions fonder nos valeurs et notre morale:

         -Ni sur l'homme (comme le pensent les humanistes matérialistes) car il est capable du pire.

         -Ni sur la nature (comme le pensent les écologistes) car elle est amorale. 

         -Ni sur l'histoire (comme le pensent les marxistes) car elle ne possède pas un sens précis. 

         -Ni sur la science (comme le pensent les scientistes) car, comme la nature, elle ne peut aborder les questions de morale. 

    Un philosophe comme André Comte-Sponville en est certainement capable, mais on peut douter qu'une société dans son ensemble le soit, si son unique cadre conceptuel est celui du "désenchantement du monde". D'autant plus que Luc Ferry a montré l'extrême difficulté, voire l'incohérence, qu'il y a pour un matérialiste à parler de morale: "Il est incohérent de se dire matérialiste et d'envisager la moralité des actes humains comme si elle pouvait dépendre d'une liberté qu'on déclare par ailleurs tout à fait illusoire. Par où il me semble qu'un matérialisme conséquent devrait toujours se borner à une "éthologie" sans jamais parler de morale autrement que comme d'une illusion plus ou moins nécessaire."

    Saint Exupéry nous a déjà dit que l'humanisme matérialiste est sans issue et que le fondement de la liberté, de l'égalité et de la fraternité provient de notre "grande image de l'homme né de Dieu", en fait de la laïcisation d'un concept judéo-chrétien. Donc, si les fondements disparaissaient, toute forme d'humanisme risquerait bien d'être engloutie. Lorsque les religions dominaient les sociétés humaines, celles-ci n'étaient guère brillantes en termes de droits de l'homme, mais c'était bien parce que ceux qui les représentaient faisaient exactement le contraire de ce que disaient les textes sacrés qu'ils devaient enseigner.La "légende" du Grand Inquisiteur de Dostoïevski va dans ce sens car elle ne dénonce pas seulement les religieux ayant trahi leur religion, mais ceux qui prétendront faire le bonheur de l'homme sur le plan strictement matériel et qui, pour cela, édifieront une société totalitaire dont Dieu aura été exclu.

    C'est en effet saisissant de prophétisme lorsque le Grand Inquisiteur dit à Jésus: "Sais-tu que des siècles s'écouleront et que l'humanité proclamera par la bouche de sa science et de sa sagesse que le crime n'existe pas, et que, par conséquent, il n'y pas de pécheurs mais seulement des affamés. Nourris-les, et alors seulement exige d'eux la vertu! Voilà ce que l'on tracera sur l'étendard que l'on brandira contre Toi et qui détruira Ton temple. A sa place surgira un nouvel édifice: une terrible Tour de Babel [...] Jamais, jamais, les hommes ne parviendront à se nourrir sans nous! Aucune science ne leur donnera du pain aussi longtemps qu'ils resteront libres et ils finiront par déposer leur liberté à nos pieds pour nous dire: "Soumettez-nous à votre joug, mais nourrissez-nous." Ils comprendront enfin que la liberté et le pain terrestre pour tout le monde son incompatibles, car jamais, jamais, ils ne sauront se répartir le pain entre eux." En fait, le Grand Inquisiteur se révèle être un matérialiste  et là est son secret, dit Dostoïevski.

     

     

     
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    Antroposophie. Source: wikipédia.

    Ces extraits  de Wikipédia sont à  utiliser dans cet article de mon blog pour le commenter et en faire l'analyse dans les "COMMENTAIRES".


    antroposophie


    L'origine du terme « anthroposophie »[modifier]

    Le mot anthroposophie (de anthropos et sophia, littéralement « la sagesse de l'homme ») n'est pas un néologisme créé par Rudolf Steiner. On en trouve déjà des traces au xvie siècle chez un auteur anonyme. Puis chez Thomas Vaughan en 1650 dans un livre portant pour titre : Anthroposophia Magica. On le trouve ensuite utilisé chez Troxler (1780-1866) en 1806, chez Immanuel Hermann Fichteen 1856, chez Gideon Spicker (1872-1920) en 1872, chez le philosophe viennois Robert Zimmermann (1824-1898) en 1882 ; c'est de ce dernier dont Steiner s'est inspiré1.

    Qu'est-ce que l'anthroposophie ?[modifier]

    Steiner postule que ce qu'il appelle l'observation et le penser seraient les deux piliers de toute connaissance. Il propose, par une intensification conjointe aller-retour de ces deux activités de faire l'expérience de l'essence du penser, qu'il appelle le penser pur 2. De ce dernier, l'homme doit pouvoir tirer en toute autonomie le motif de ses actions et agir alors librement. C'est ce que Rudolf Steinera appelé « l'individualisme éthique »3. L'anthroposophie se fonde sur l'affirmation d'un dépassement possible de la vision matérialiste de la nature et du monde en y ajoutant les niveaux suprasensibles de l'existence : processus vitaux, âme et esprit. Selon Steiner :

    « L'interprétation correcte du mot « anthroposophie » n'est pas « sagesse de l'homme », mais « conscience de son humanité », c'est-à-dire : éduquer sa volonté, cultiver la connaissance, vivre le destin de son temps afin de donner à son âme une orientation de conscience, une sophia4. »

    L'anthroposophie cherche à développer en l'homme les forces nécessaires pour appréhender ce qui existerait au-delà des sens : monde éthérique ou monde des forces formatrices, monde psychique ou astral, monde spirituel. Pour Kant, l'homme ne peut pas connaître ce qui est au-delà des perceptions sensorielles. Pour l'anthroposophie, l'homme peut développer en lui les facultés qui lui permettent de dépasser cette limite.

    Sur ce chemin, la connaissance de soi et le développement des forces morales sont présentés comme indispensables pour éviter les « décollements » et prévenir les dérapages.

    « La règle d'or est celle-ci : Quand tu tentes de faire un pas en avant dans la connaissance des vérités occultes, avance en même temps de trois pas dans le perfectionnement de ton caractère en direction du bien5. »

    Dans la conception anthroposophique du monde, « cet univers a été conçu spécialement pour que nous y fussions placés ». L'Adam Kadmon, l'archétype originel de l'être humain en descendant dans la matière, aurait rejeté hors de lui les autres règnes de la nature, ce qui expliquerait la parenté des processus agissant dans la nature avec ceux qui existent dans l'être humain. L'être humain évoluerait vers la perfection à travers les réincarnations, guidé par les « anges » du karma. Pour l'anthroposophie, le plan divin de l'évolution de la dixième hiérarchie - l'humanité - serait sous la tutelle des hiérarchies créatrices, celles citées par « Denys l'Aréopagite » dans son traité « De la hiérarchie céleste ».[réf. nécessaire]

    L'entité du Christ, le Logos ou Verbe, joue un rôle central dans la cosmogonie steinérienne ; toutefois l'anthroposophie ne se conçoit pas elle-même comme une religion6.

    En se basant sur les résultats de l'investigation spirituelle, l'anthroposophie propose dans tous les domaines de l'existence, des applications pratiques qui se veulent en harmonie avec la nature profonde de l'homme : éducation, médecine, thérapies artistiques, pharmacie, agriculture, économie, vie sociale, arts, etc.

    Dans ses œuvres philosophiques que sont Vérité et science et Philosophie de la liberté, Rudolf Steiner a tenté de donner la justification théorique épistémologique de la démarche anthroposophique.


    L'anthroposophie en tant que chemin de développement spirituel[modifier]

    Selon l'anthroposophie, de même que pour percevoir le monde sensible il nous faut des organes des sens, pour percevoir les mondes suprasensibles, nous aurions besoin d'organes suprasensibles. Ces organes existeraient en germe chez tous les êtres humains, mais seraient en sommeil à notre époque. Certains de ces organes ou « chakras » auraient été en partie actifs autrefois mais auraient été comme anesthésiés pour les besoins de l'évolution. Il fallait, selon Steiner, que l'être humain perde provisoirement la conscience des mondes spirituels afin de développer la conscience de soi. Seul quelques médiums et personnes très peu développées intellectuellement auraient encore des chakras leur permettant une perception selon le mode ancien. Cependant, par un travail sur soi, au moyen d'exercices appropriés, ces organes de perception pourraient être développés et réactivés. La mise en activité des chakras serait en rapport avec le développement de certaines valeurs de l'âme. L'action directe sur les chakras serait cependant jugée dangereuse en l'absence de guides expérimentés. Steiner ne s'étend pas tellement sur les chakras, car pour lui leur développement serait une conséquence directe du développement moral de l'individu.

     

    De nos jours, le stade actuel de l'évolution de l'humanité exigerait que les enseignements anthroposophiques soient mis à la disposition de tous, alors qu'autrefois les contenus ésotériques n'étaient divulgués qu'aux disciples de certaines sociétés secrètes.

    Steiner ajoute que ces exercices seraient appropriés à l'état de conscience de notre époque et qu'ils seraient inoffensifs si les conseils qu'il donne dans ses ouvrages de base sur le sujet sont suivis scrupuleusement21.

    L’organisation spirituelle, psychique et physique de l’être humain selon l'anthroposophie[modifier]

    Selon le point de vue envisagé, Steiner propose diverses approches de la nature humaine, ce qui se traduit selon les cas par une subdivision en neuf, sept, quatre ou trois constituants :

    • En neuf : physique, éthérique, astral, âme de sensibilité, âme d'entendement, âme de conscience, Soi spirituel (manas), Esprit de vie (bouddhi), Homme-Esprit (atma).
    • En sept : physique, éthérique, astral, Moi, Soi spirituel (manas), Esprit de vie (bouddhi), Homme-Esprit (atma).
    • En quatre, puisque les corps supérieurs ne sont pas encore entièrement développés : physique, éthérique, astral, Moi (le Moi contenant en lui le germe de la triade spirituelle).
    • En trois : corps, âme et esprit.

    1. Le corps physique

    C'est le seul que la science traditionnelle reconnaisse.

    2. Le corps éthérique

    Steiner l'appelle aussi corps vital ou corps de forces formatrices. Il s'agirait davantage d'un champ de forces que d'un corps. Il présiderait au développement du corps physique jusqu'à sa taille adulte et ensuite il dirigerait les processus qui maintiennent sa forme. C'est lui qui ferait du corps physique un corps vivant. Les plantes et les animaux auraient également un corps éthérique.

    3. Le corps astral

    Cette dénomination ancienne a été conservée par Steiner du fait qu'elle était d'usage courant en ésotérisme, mais il l'appelle aussi corps psychique, corps de conscience, parfois corps des désirs ou corps animique. Ce corps n'épouserait pas les formes des corps physique ou éthérique. Il affecterait une forme ovoïde parcourue par des courants de forces psychiques apparaissant lumineuses et très colorées à la « perception clairvoyante ». Dans la littérature ésotérique, on en parle souvent comme de l'aura.

    4. Le « Moi » ou le « Je »

    Le Moi est considéré comme l'entité supérieure immortelle de l'homme, destinée à se déployer et se structurer sous la forme de ce que l'anthroposophie appelle « la triade spirituelle ». Le Moi est censé agir dans l'âme et susciter ainsi l'être conscient.

    5. L'âme

    Dans la structure ternaire anthroposophique de l'être humain : Esprit - âme - corps, on appelle « corps » l'ensemble constitué du corps physique, du corps éthérique, et de la partie inférieure du corps astral. Le terme âme, sous-entendant ses trois aspects appelés âme de sensation22âme d'entendement23 et âme de conscience24, désigne la partie supérieure du corps astral, tandis que le termeesprit désigne le moi, incluant le germe de la triade spirituelle. L'âme de sensibilité serait particulièrement unie au corps astral. Le corps astral est censé rendre conscientes les impressions transmises par les organes sensoriels, mais ce serait dans l'âme de sensation que le Moi peut revivre les souvenirs, les représentations de ce qui a été perçu. L'expérience intérieure se déroule dans l'âme de sensation. Dans l'âme d'entendement, le Moi élabore ce qu'il reçoit. Il éclaire et élabore par la pensée ce qui vit dans l'âme de sensation. Grâce à cette partie de l'âme le Moi peut porter des jugements. C'est au sein de l'âme d'entendement que l'homme s'éveille à lui-même, qu'il saisit son Moi. Toutefois, précise Steiner, la pleine conscience de son Moi, il ne peut l'acquérir que dans l'âme de conscience. Ce n'est qu'à ce moment que la connaissance véritable de soi et du monde peuvent devenir objective et que le Moi peut élargir progressivement sa conscience au suprasensible25.

    6. Les corps supérieurs

    Le disciple qui suit un chemin spirituel, anticipe par le travail qu'il fait sur lui-même, des stades de conscience qui ne deviendraient l'apanage naturel de l'humanité que dans le futur.

    • Le travail du Moi sur le corps astral, en le métamorphosant, donnerait naissance au Soi spirituel.
    • Le travail du Moi sur le corps éthérique (ou vital), en le métamorphosant donnerait naissance à l'Esprit de vie.
    • Le travail du Moi sur le corps physique, en le métamorphosant, donnerait naissance à l'Homme-Esprit26.

    Cosmologie et anthropologie anthroposophique[modifier]

    Les stades de développement de la Terre[modifier]

    Pour Steiner, notre Terre est la manifestation de l'activité d'êtres spirituels, êtres humains compris. Ces derniers et les êtres humains évolueraient parallèlement tandis que la Terre passerait par des incarnations successives dans des substances de plus en plus denses, selon un rythme septénaire. Vers le milieu l'évolution terrestre, le processus s'inverserait grâce à l'impusion cosmique du Logos et la Terre repasserait par des états de plus en plus subtils. Notre Terre serait actuellement au 172e stade sur les 343 (7x7x7) que comporte toute l'évolution terrestre.

    L'entité christique[modifier]

    Selon Steiner, l'anthroposophie n'est pas une religion mais elle cherche à élucider le contenu des diverses religions. Dans le christianisme, par exemple, ce n'est pas le message religieux qui serait le plus important, mais l'action objective du Christ, considéré comme « l'esprit guide de la terre ». D'un point de vue social, le renforcement de l'ego conduirait au chaos, à la « guerre de tous contre tous ». Pour éviter cela, l'entité christique pourrait imprégner les êtres humains de la force d'amour, ce qui leur permettrait de vivre ensemble en harmonie.

    L'incarnation du principe christique[modifier]

    Selon l'anthroposophie, l'incarnation du Logos ou Verbe en Jésus aurait eu lieu lors du baptême par Jean-Baptiste dans le Jourdain.

    Steiner considère l'incarnation de ce Logos dans un corps physique comme un fait de la plus haute importance pour l'évolution humaine. Alors que les théosophes minimisaient ce rôle en faisant du Christ un avatar, un initié, voire un prophète ordinaire, Steiner voit dans le Christ une incarnation unique de la divinité, rendue nécessaire par le cours de l'évolution 27. Son rôle cosmique serait d'amorcer et d'accompagner la spiritualisation de la Terre. Il en déduisit que l'impulsion christique est un fait objectif qui transcende toutes les religions. Selon Steiner, les premiers chrétiens ont saisi toute la portée de cet événement, mais cette compréhension commença à se perdre à partir du ive siècle. Les schismes au sein du christianisme sont la signature de la perte de cette compréhension. À cet époque s'amorça le déploiement de l'intellect dans l'âme humaine, ce qui en contrepartie fit disparaître l'ancienne sagesse instinctive. En perdant cette sagesse, l'être humain gagne en liberté et devient de plus en plus capable de retrouver de manière consciente le lien avec le monde spirituel 28. Steiner enseigne que la venue du Christ dans un corps physique, il y a deux mille ans, ne serait que la partie visible d'un processus cosmique qui aurait commencé bien avant cette incarnation sur la Terre.

    L'apparition du Christ dans le monde éthérique[modifier]

    Steiner prédisait qu'à partir de 1930-1940, de plus en plus d'êtres humains seraient en mesure de percevoir par clairvoyance naturelle la présence du Christ dans le monde éthérique, l'étude de l'anthroposophie préparant le penser à accéder à la clairvoyance pensante, notamment par le livre "Philosophie de la liberté" 29.

    Les entités dites « adverses »[modifier]

    Steiner enseigne l'existence de plusieurs catégories d'entités adverses. Ce sont des entités spirituelles qui seraient restées à des stades antérieurs de l'évolution pour amener dans notre évolution actuelle des conditions propres à ces anciens stades. Lucifer et Ahriman sont les représentants de deux tendances opposées intervenant dans le développement de l'humanité. Les forces lucifériennes auraient une action expansives, centrifuges, dilatoires, dissolvantes et calorique, tandis que les forces ahrimaniennes auraient une action contractante, durcissante, centripète et refroidissante. Selon cette vision, dans l'organisme humain, les forces lucifériennes auraient un certain rapport avec les maladies de type inflammatoire, microbienne, tandis que les forces ahrimaniennes seraient liées aux maladies sclérosantes, paralysantes et virales. La santé résulterait ainsi de l'équilibre dynamique entre ces deux tendances30.

    L'incarnation d'Ahriman[modifier]

    Le Représentant de l'humanité, luttant entre Lucifer et Ahriman pour les équilibrer

    Pour Steiner, un retour du Christ dans une incarnation humaine est impossible. Les écoles ésotériques qui annoncent un futur retour du Christ, ne feraient que préparer les conditions de la venue d'une entité adverse, laquelle se ferait passer pour le Christ réincarné, un peu comme dans le Court récit sur l'Antéchrist du philosophe russe Vladimir Soloviev. Cette entité, Steiner l'appelle Ahriman, un autre nom pour Satan. Selon lui Ahriman s'incarnerait au début du IIIemillénaire31.

    Ère du Verseau[modifier]

    Steiner déclare que l'humanité est dans l'ère des Poissons depuis 1413, et qu'elle n'entrera dans l'ère du Verseau que 2160 ans plus tard soit en 3573. (voirChronologie précessionnelle)

    Réincarnation et karma[modifier]

    Pour Steiner, au stade actuel l'homme ne serait ni tout à fait libre, ni déterminé ; il se trouverait sur le chemin qui mène à la liberté. Progressant d'incarnation en incarnation, l'être humain développerait les facultés et le savoir qui lui permettraient d'aborder son environnement et sa destinée avec une maturité croissante. Un esprit qui se détermine lui-même, en toute lucidité sur ses motivations profondes, est un esprit libre.

    Dans la perspective anthroposophique, l'esprit est l'élément éternel qui voyage d'une incarnation à l'autre. Les corps sont renouvelés à chaque incarnation. Lekarma est défini comme le lien qui rattache un être aux conséquences de ses actions. L'esprit humain suit une évolution ascendante. Lorsque l'être humain psycho-spirituel, après la mort, s'est débarrassé de ce qui le rattachait à la terre, l'esprit s'élève dans les mondes spirituels aussi haut que lui permet son degré d'évolution. L'esprit humain n'est pas inactif dans les mondes spirituels ; en collaborant avec les entités spirituelles, il prépare sa prochaine incarnation. Quand il est prêt et que les conditions terrestres sont adéquates, le processus s'inverse et l'esprit humain redescend vers la terre.

    Sommeil et après-vie[modifier]

    Selon la conception de Steiner, au cours du sommeil, le corps physique resterait imprégné de l’éthérique (qui le maintient en vie), mais l’astral (l’âme) et le moi (je) s'en sépareraient. En revanche, au moment de la mort, le corps éthérique, le corps astral et le moi quitteraient définitivement le corps physique.

    À partir du moment de la mort, l’individu revivrait toutes ses nuits de sommeil, soit un tiers de la durée totale de sa vie. Il retrouverait aussi ses proches décédés avant lui. Il ne pourrait que contempler le spectacle de ses actions – tel que le conçoit Aristote -, impuissant parce qu’il ne peut plus rien y changer, ce qui l’attristerait au plus haut point. Plus l’individu aurait eu un comportement moral, plus il serait entouré et en bonne compagnie. Après avoir traversé, la sphère lunaire, la sphère de Mercure et celle de Vénus, il poursuivrait son ascension à travers les sphères, solaire, de Mars, de Jupiter et de Saturne qui correspondraient à des niveaux spirituels de plus en plus élevés. Au fur et à mesure de son ascension à travers les sphères spirituelles, l'individu se dépouillerait successivement de ses corps éthérique et astral. Par la suite le processus s'inverserait et l'individualité se reconstruirait des corps au fur et à mesure de sa descente vers une nouvelle incarnation terrestre32,33,34.

    Homme et femme[modifier]

    Dans l'image de l'homme selon l'anthroposophie, il n'existerait pas deux sortes d'humains mais une seule: tout être humain serait en réalité masculin-féminin. Plutôt que de parler d'homme et de femme, il faudrait donc parler de nature masculine et de nature féminine. La femme possèderait un corps physique de nature féminine mais son corps éthérique serait de nature masculine. L'homme par contre possèderait un corps physique de nature masculine et son corps éthérique serait de nature féminine. Ce qui est extérieur chez l'un vivrait intérieurement chez l'autre, et inversement, ce qui expliquerait notamment l'attraction entre les sexes. Quant à l'âme et au moi, ils ne seraient pas sexués. Le moi éternel s'incarnerait soit en homme soit en femme, en général alternativement, sauf exceptions et nécessités liées au karma. Une incarnation en tant qu'homme n'apporterait pas les mêmes expériences qu'une incarnation en tant que femme. L’homme serait plus incrusté dans la matière, davantage conduit par le cerveau et l’intellect. À l’inverse, la femme serait moins profondément incarnée. Elle resterait plus proche de l’intériorité de sa psyché, de son âme, de son monde intérieur. Selon cette vision, une vie d’homme serait la cause d’une réincarnation en femme et vice versa35.

    Durée entre les incarnations[modifier]

    Les êtres humains étant très dissemblables, la durée typique entre les incarnations (environ 1000 ans) serait susceptible de variations considérables. Par exemple, les personnalités très liées à une conception matérialiste de la vie, ou fortement marquées par l’intellectualité, auraient du mal à évoluer dans les mondes supérieurs et se réincarneraient de ce fait plus rapidement ; les individus morts prématurément se réincarneraient d'autant plus rapidement qu'ils sont morts plus jeunes36.

    La redescente sur terre[modifier]

    Peu de temps avant la naissance, l’individu verrait le germe de son corps physique se lier à l'organisme de la future mère. Après la troisième semaine de développement fœtal, le Moi s'engagerait activement dans le processus de formation du corps, lui donnerait sa forme et commencerait à s’y incarner37. Durant les sept premières années après la naissance, l'enfant édifierait son corps éthérique, plus ou moins jusqu'au changement de dentition. À partir de ce moment, une bonne partie des forces formatrices éthériques seraient libérées et disponibles pour l'activité représentative. Entre la douzième et la seizième année à l'époque de la puberté, le corps astral se séparerait de l'enveloppe astrale qui le construisait. Le Moi par contre ne s'incarnerait complètement que vers l'âge de 20 ou 21 ans38.

     

    Controverses[modifier]

    Critiques[modifier]

    La principale difficulté pour évaluer l'anthroposophie selon la méthode scientifique réside dans le fait que Steiner s'appuie sur ce qu'il appelle des perceptions spirituelles, non accessibles au plus grand nombre, si tant est qu'elles existent réellement. Ainsi, tout ce qui se base sur des perceptions spirituelles dans l'anthroposophie ne peut être considéré que comme hypothèse ou comme une croyance.

    Accusations de racisme[modifier]

    Des accusations de racisme, se fondant sur certains écrits de Steiner, ont été formulées contre l'anthroposophie aux Pays-Bas, aux États-Unis, en Allemagne et en France[réf. nécessaire]

    Aux Pays-Bas, la Société anthroposophique a répliqué en mandatant une commission d'enquête chargée de soupeser les allégations de racisme dans l'œuvre de Steiner. Le 1er avril 2000, après quatre ans de délibérations, un rapport de 720 pages a été produit à partir de 245 citations litigieuses tirées de 89 000 pages[réf. nécessaire]. La commission a conclu que : « l'œuvre ne contient ni doctrine raciale, ni déclarations faites dans le but d'insulter certains groupes de personnes ».[réf. nécessaire] Elle pose Steiner comme un ennemi de l'antisémitisme et du nationalisme. Il reste toutefois seize déclarations jugées discriminatoires et juridiquement litigieuses. La commission a donc proposé quelques solutions, telles que l'annotation des passages litigieux afin d'éviter le risque de malentendu et a recommandé aux écoles Waldorf d'abandonner les stéréotypes raciaux. Au sein de la fédération des écoles Waldorf, un groupe d'experts aurait été mis sur pied afin de veiller à ces corrections.[réf. nécessaire]

    Au sujet des écrits de Steiner : Ce dernier était issu de la théosophie qui soutenait l'existence de « Races-Mères ou Races-Racines » et de « sous-races ». Les Races-Racines seraient : Hyperboréenne, Lémurienne, Atlantéenne et Post-Atlantéenne. Nous serions l'humanité de la Race-Racine Post-Atlantéenne. Durant la civilisation de l'Atlantide, l'être humain aurait généré une pluralité de races, d'abord quatre grandes races (noire, rouge, jaune, blanche) ainsi que quelques variantes plus tardives. [réf. nécessaire]

    Steiner a rapidement abandonné la notion de race pour parler plutôt de « périodes culturelles ». La race est une réalité appartenant à l'Atlantide[réf. nécessaire] Depuis le Déluge qui aurait mis fin à l'Atlantide, les races auraient perdu leur importance. Notons que Steiner lors d'une conférence où il parlait des couleurs, fait correspondre les différentes couleurs de peau (qui correspondent à une physiologie particulière) aux quatre grandes périodes du développement biographique d'un homme : les Noirs seraient l'enfance, les Jaunes l'adolescence, les Blancs l'âge mûr et les Peaux-rouges lavieillesse. Or, tous les âges ont leur propre dignité dans cette perspective et seraient en fait de valeur égale.

    Steiner parlait toutefois de races « dégénérées ». Mais dans cette vision, l'hérédité ne s'applique qu'au corps ; l'esprit étant d'origine spirituelle, il est perçu comme totalement indépendant de l'hérédité. Il demeure que Steiner semblait d'avis que certaines races étaient vouées à l'extinction, parce qu'elles seraient adaptées à une période révolue du développement terrestre. Ce processus de mort d'une race serait la cause des maladies qui ont ravagé les populations indiennes d'Amérique par exemple. Mais Steiner n'a jamais justifié de cette manière l'extermination des Indiens d'Amérique comme on l'a parfois prétendu. [réf. nécessaire] Steiner affirme que dans un lointain futur, l'humanité transcenderait la notion de race et que celle-ci disparaîtrait par elle-même. L'esprit humain serait, en vertu de la réincarnation, libre de s'incarner dans différentes races. Un individu trop attaché à la matière, un raciste par exemple, retomberait dans son animalité et s'emprisonnerait dans sa race. Il se réincarnerait toujours dans la même, ou dans la race qu'il aurait haï. Steiner aurait dit que lorsqu'on observe un individu d'une autre couleur de peau avec un mépris raciste, on pourrait être sûr que notre future incarnation serait dans cette race. [réf. nécessaire]

    En France, ces accusations de racisme ont été reprises par certains militants anti-sectes. Selon Paul Ariès, la MILS considère certaines allégations des écrits de Steiner comme étant « susceptibles d'être interprétées comme racistes et qu'exposées publiquement aujourd'hui, ces opinions pourraient faire l'objet de procédures judiciaires, en vertu des articles 225.1 et suivants du Code pénal français » 39. Il ne prônerait pas toutefois un racisme biologique mais une vision inégalitaire et hiérarchisée du cosmos. Selon Ariès, ce serait le groupe GEMPPI qui est responsable d'avoir débusqué « les croyances et les doctrines racistes de Rudolf Steiner ». Cependant l'étude produite par le GEMPPI affirme que les rares allégations de racisme relevées dans des écoles Steiner-Waldorf sont peu significatives et « sont même contraires aux comportements de beaucoup d'éducateurs des écoles Waldorf, notamment dans les townships d'Afrique du Sud ou à Milwaukee » 40

    Autres controverses concernant l'anthroposophie[modifier]

    En France, Le rapport parlementaire français sur les sectes et l'argent de 1999, sous la direction de Jacques Guyard 41, met en cause l'anthroposophie. Plusieurs associations du mouvement anthroposophique ont porté plainte contre Jacques Guyard qui fut condamné en première instance pour diffamation. Il a été relaxé en appel. La Cour d'appel a en effet jugé que les propos en question étaient bien « diffamatoires » mais a relaxé Jacques Guyard en raison de sa « bonne foi », et parce que « Le juge n'est pas lié par les conclusions d'une Commission d'enquête et ne peut donc pas se prononcer sur la qualité des investigations menées par l'enquêteur ». Par ailleurs la Cour a aussi relevé que l'anthroposophie inspirerait un mouvement « considéré comme une secte non seulement par la commission d'enquête française, mais aussi par une commission d'enquête belge, un rapport des Renseignements généraux de 1997 et les spécialistes du mouvement sectaire » 42.

    En février 2001, le directeur du journal Le Figaro a été condamné pour diffamation par le tribunal correctionnel de Paris. Il a dû verser une amende de 15 000 F, 7 500 F au titre des frais et 1 F de dommages et intérêts. C'est le Mercure fédéral, la fédération des associations médicales anthroposophiques de France, qui a intenté la poursuite judiciaire pour dénoncer un article paru le 13 juin 2000 affirmant que « l'anthroposophie… aurait gagné son procès contre Jacques Guyard, président de la Commission parlementaire d'enquête sur les sectes et l'argent, grâce à l'appui de la scientologie ».

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    L'école d'Athènes: le beau, le vrai...
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    Rudolf Steiner et l?Anthroposophie
    « Le Beau est une manifestation de lois secrètes de la nature qui, s?il n?apparaissait pas, seraient restées éternellement cachées » Goethe



    "Pour s'élever plus haut encore dans la connaissance, il faut faire de la force de l'amour une force de connaissance. Il ne peut s'agir ici du sentiment généralement connu sous ce nom, qui est presque le seul dont on parle à notre époque matérialiste. L'amour que nous nous avons en vue est celui qui nous rend capable de nous sentir un avec un être qui n'est pas nous dans le monde physique, à nous sentir vraiment un avec lui, de manière à éprouver ce qui se passe en lui aussi bien que ce qui se passe en nous et à sortir, par conséquent, complètement de nous pour revivre en lui. Au cours de la vie humaine ordinaire, l'amour n'atteint pas à ce degré auquel pourtant il faudrait qu'il s'élève pour devenir un pouvoir de connaissance."
    L'anthroposophie. L'homme et sa recherche spirituelle.
    L?Anthroposophie est, selon les termes de Rudolf Steiner, une voie de connaissance qui doit « conduire le spirituel en l?être humain jusqu?au spirituel dans l?univers ». Pour Steiner, la démarche anthroposophique appartient à l?ordre de l?ésotérisme, même si certaines formulations, après les mises au point de René Guénon, paraissent manquer de rigueur, par exemple en ce qui concerne le mot « occulte ». On ne pourrait plus affirmer aujourd?hui que l?Anthroposophie est une « science de l?occulte ». Quoi qu?il en soit, lorsque l?on parle de l?Anthroposophie selon Rudolf Steiner, il convient de relever un premier principe « qu?il n?est pas permis de transgresser » et que l?« enseignement ésotérique » doit transmettre : « Toute connaissance que tu cherches dans l?unique but d?enrichir ton savoir, d?amasser en toi des trésors, te détourne de ton chemin ; par contre, toute connaissance que tu recherches pour mûrir sur la voie de l?ennoblissement de l?homme et de l?évolution de l?univers te porte un pas en avant ». Ce principe découle de l?intuition fondamentale de Steiner à propos de ce qu?on pourrait appeler « l?évolutionnisme christocentrique » où il s?agit, pour l?homme moderne, « d?assumer pleinement les acquis de l?histoire spirituelle de l?Occident en vue de leur transmutation, non pas de s?en remettre à une Tradition primordiale dont on attendrait passivement les manifestations sous forme de nouveaux avatars divins ». La Société Anthroposophique universelle est d?ailleurs, selon ses Principes de 1923, « une association de personnes désireuses de cultiver la vie de l?âme dans l?individu et dans la société, en se fondant sur une véritable connaissance du monde spirituel ». L?Anthroposophie constitue donc bien une voie de connaissance, même si elle n?est pas une démarche « ésotérique », au sens strict, dès lors qu?elle cesse de se référer à la sophia perennis, et qu?elle est résolument tournée vers l?action sociale et communautaire. Dernier aspect fondamental de l?Anthroposophie, le lien qui existe entre les différentes formes de la démarche artistique et ce que nous nommerons l?esprit. En cela Rudolf Steiner apparaît un authentique visionnaire dont l??uvre a une portée qui dépasse même le cadre de l?Anthroposophie : « Ce qui importe pour le véritable chercheur spirituel de l?avenir, en dehors de toute forme pathologique de clairvoyance, c?est le pont qui peut être jeté entre l?art et le regard spirituel. ? Celui qui comprend cela, sait qu?il en ira du salut de l?humanité aujourd?hui et dans l?avenir que l?on recherche de plus en plus les choses de l?esprit, la connaissance spirituelle. La lumière de la vision spirituelle doit briller dans l?art, afin que la chaleur et la grandeur de l?art féconde créativement la grandeur et l?horizon de la vision spirituelle » (Munich, 6 mai 1918).
    De l?âme
    L?âme est à la fois masculine et féminine. Il faut imaginer l?homme-femme, des « temps très reculés », sous des apparences fort différentes de ce que sont devenus l?homme et la femme : « des formes humaines souples et malléables » dont les aspects masculin et féminin vont progressivement se dessiner, provoquant à la longue une « séparation des sexes ». Conséquence de cette séparation, le corps a perdu la faculté de s?auto-féconder. Mais aussi, seconde conséquence : la force qui dans l?homme-femme servait à l?auto-fécondation, n?ayant plus à s?exercer, crée le cerveau, la faculté de penser . C?est ce qui fait dire à Steiner que « la pensée a été acquise au prix de l?unisexualité ». Ainsi « le corps masculin et le corps féminin représentent extérieurement chacun une forme imparfaite de l?âme, mais de ce fait deviennent dans leur intériorité des êtres plus parfaits. » Troisième conséquence, enfin, « l?âme acquiert la faculté de collaborer avec l?esprit » : « Pour ce qui est de la vie extérieure, l?être humain connaîtra désormais une fécondation venant du dehors ; pour sa vie intérieure, elle vient du dedans grâce à l?esprit ».
    Du Christ
               Le Christ est un être divin qui, en s?incarnant, participe désormais de l?humanité à laquelle il insuffle de nouvelles forces vitales. La mort et la résurrection du Christ constituent ainsi « le point de retournement » d?une humanité qui au lieu de continuer le processus de décomposition où elle était entraînée inaugure une nouvelle ère, qui est cette fois dans le sens d?une assomption. Comme le dira Steiner, c?est « l?impulsion du Christ » qui permet de « saisir le spirituel ».  
    En conclusion
              L??uvre de Rudolf Steiner est bien plus qu?un simple courant de la théosophie, et elle n?a même plus qu?un lointain rapport avec ce qu?on entend par « théosophie » au sens moderne du terme. Son rayonnement en Europe et dans le monde est tout de même le signe que quelque chose opère qui est de l?ordre de l?esprit : qui nous tire réellement vers En-Haut, comme l?écrivait Goethe à la fin de son second Faust et qui finalement nous fait comprendre le monde, au sens où l?entendait Novalis : « Nous comprendrons le monde quand nous nous comprendrons nous-mêmes, parce que nous sommes, lui et nous, des moitiés intégrantes. Enfants de Dieu, germes divins nous sommes. Un jour nous serons ce que Dieu est. » (frag. 105, 1798)

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